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considérations avaient pu retenir le bras de l’Angleterre, déjà levé sur le Céleste Empire. De vagues rumeurs leur apprirent l’état de division des grandes puissances européennes, la question des mariages espagnols, les inquiétudes hautement manifestées par lord Wellington, les projets que l’expérience ombrageuse du vieux duc prêtait à la France, les progrès de l’Union américaine dans le Nouveau-Monde, la crise financière qui venait d’éclater dans l’Inde. Ils espérèrent que les rivalités de l’Occident feraient long-temps encore la sécurité de la Chine. On ne peut douter qu’à partir de cette époque la cour de Pe-king n’ait conçu la pensée d’échapper insensiblement à la pression européenne et de reconquérir par la ruse tout ce que lui avait enlevé la force des armes. Le 22 février, le jour même où l’Auckland reprenait le chemin de Poulo-Penang, Ki-ing et Houan quittaient Canton pour se rendre à Pe-king. Bien que ces deux mandarins fussent comblés de distinctions flatteuses et d’honneurs, leur départ n’en fut pas moins considéré par la populace de Canton comme une victoire obtenue sur les intérêts étrangers. La province du Kouang-tong ne peut être gouvernée que par des concessions constantes aux préjugés populaires. Il n’est donc point impossible que la cour de Pe-king se soit alarmée de l’impopularité croissante du vice-roi et ait voulu calmer par son rappel l’agitation séditieuse du peuple. On donna pour successeur à Ki-ing le Fou-yuen de Canton, le mandarin Sé-ou, homme dur et austère que la voix publique avait toujours représenté comme opposé aux dispositions conciliantes du vice-roi. C’est avec ce Chinois entièrement dévoué à la faction des Pouan-sé-gan[1] et des Lin, les Reouf et les Kosrew-Pacha de la Chine, que les Européens eurent désormais à traiter.

Nous étions revenus à Macao, quand le départ de Ki-ing nous fut annoncé par les négocians de Canton. Le gouverneur portugais ne se méprit point sur la gravité de cet événement. Malgré la vivacité de sa nature, Amaral n’avait pas approuvé les préparatifs belliqueux de sir John Davis et ce projet d’expédition dont il n’entrevoyait pas bien clairement la portée. Fermer par un blocus rigoureux le port de Canton, anéantir pour de longues années le commerce de la Chine méridionale, afin de se rejeter complètement sur les marchés plus pacifiques des provinces du nord, occuper l’île de Chou-san et sacrifier l’établissement de Hong-kong, tel eût pu être, dans sa pensée, le plan audacieux d’une politique décidée à sortir à tout prix d’une situation fausse et sans issue. Il eût compris ce dessein sans y souscrire; mais ces démonstrations militaires, ces stériles humiliations imposées à la Chine, ne pouvaient, suivant lui, qu’irriter inutilement les populations et le

  1. Mandarin octogénaire et premier ministre de l’empereur Tao-kouang.