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percussion, vinrent les dégager. Le surlendemain, les Anglais évacuaient les hauteurs de Canton, et les braves étaient libres d’attribuer à la terreur qu’inspirait leur courage la retraite précipitée des barbares. Des placards affichés jusque sur les murs des factoreries ont souvent mentionné ce prétendu triomphe; les proclamations adressées à la population des campagnes Tout plus d’une fois rappelé avec orgueil, et il eût fallu une plus terrible leçon que celle du 3 avril 1847 pour en effacer le souvenir. On comprendra facilement combien cette confiance présomptueuse devait enhardir l’animosité du peuple de Canton et rendre plus difficile encore la tâche pacifique qu’avait acceptée le vice-roi Ki-ing. Ce malheureux vice-roi, assailli de mille réclamations par le gouverneur de Hong-kong, ne pouvait y faire droit qu’aux dépens de sa popularité. Chacune des concessions que lui arrachait le désir d’éviter une nouvelle collision irritait et soulevait contre lui les passions de cette populace qui haïssait plus les barbares qu’elle ne les redoutait.

Depuis notre arrivée à Macao, nous n’avions pu étendre nos observations au-delà des classes inférieures de la société chinoise; le jour était enfin venu où nous allions nous trouver en présence du gouverneur-général de Canton, l’homme d’état le plus éminent du Céleste Empire. Ki-ing n’aurait pu se permettre de recevoir dans son palais, situé au milieu de la cité tartare, l’envoyé d’une puissance étrangère. Le mandarin Potin-qua, fils d’un marchand qu’avait enrichi le fructueux commerce des hanistes, mit à sa disposition pour cette entrevue la maison de campagne qu’il possédait sur les bords du fleuve, et ce fut vers cette villa chinoise, qui déjà dans une occasion semblable avait reçu M. de Lagrené, que la marée montante emporta, le 19 janvier, dès huit heures du matin, la nouvelle légation de France et les officiers de la Bayonnaise. Le bateau-mandarin à bord duquel nous nous étions embarqués près du quai des factoreries nous eût conduits sans fatigue jusqu’aux sources du Chou-kiang. Ce bateau de plaisance portait sur sa large plate-forme un vaste édifice, aux cloisons capricieusement découpées, dont l’intérieur était partagé en deux salons ornés de délicates incrustations de rotin et d’ivoire. Circulant sur les bords extérieurs de la plate-forme, l’équipage, armé de longues perches, maintenait au milieu du fleuve ou dirigeait d’une rive à l’autre la lourde nef, qui dérivait entraînée par le courant. Au bout d’une heure, notre bateau s’engageait dans un canal creusé à travers les alluvions récentes de la rive gauche et nous déposait à l’entrée du parc de Po-tin-qua. Débarqués sur la berge vaseuse du canal, nous pénétrâmes dans un de ces jardins aimés des Chinois où, au-dessus des flaques d’eau verdâtres, serpentent les ponts aux lignes brisées qui unissent, par un double rang d’arcades, des îlots factices et des collines en miniature. Le ciel était gris et sombre; les