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inclinations de son esprit, il se rallie au groupe des écrivains les plus sincèrement dévoués à la cause de la vieille Russie. Deux sociétés, on le voit, se reflètent en lui : les préférences de la noblesse russe, de tout temps si sympathique aux civilisations étrangères, s’y rencontrent avec les confuses aspirations de la classe moyenne vers un état social plus conforme aux instincts du génie slave. Cette tendance des classes moyennes, qui commence à gagner les classes aristocratiques, est le fait essentiel du mouvement intellectuel de la Russie contemporaine, et les écrits de M. le comte Solohoupe nous aideront à observer cette curieuse évolution de la pensée russe dans ses origines ainsi que dans ses derniers progrès.


II.

Il y a une division marquée d’avance, pour ainsi dire, dans notre sujet. Parmi les œuvres de M. Solohoupe. les unes font marcher de front la peinture des mœurs et les capricieuses tentatives d’une fantaisie légèrement humoristique ; les autres sont avant tout descriptives et analytiques, et de ce nombre est le seul roman de longue haleine qu’ait écrit M. Solohoupe, la plus remarquable aussi de ses productions, le Tarantasse, récit d’un voyage fait à travers la Russie, ou plutôt, ce qui est mieux encore, à travers les différentes classes de la société russe. Les œuvres plus spécialement humoristiques nous occuperont d’abord, parce qu’elles se lient plus étroitement à la vie de l’écrivain, dont quelques incidens ont leur intérêt intime et peuvent nous servir à éclairer la critique par la biographie.

Le comte W. Solohoupe descend d’une ancienne et noble famille polonaise dès long-temps naturalisée en Russie. Sa première éducation, comme celle de tous les jeunes nobles russes, fut française. Le moment des travaux sérieux étant arrivé, il fut envoyé à l’université de Dorpat, où se développa chez lui un goût marqué pour la musique en même temps qu’un vif penchant pour les études littéraires. Vint ensuite le moment des voyages, ce complément ordinaire d’une éducation russe. Le comte Solohoupe visita successivement la France, l’Italie, l’Allemagne; il en revint avec des goûts d’artiste et d’écrivain plus prononcés que jamais. Ces goûts, il eut le bonheur de les voir partagés par le monde même où il était appelé à vivre. Fixé désormais à Saint-Pétersbourg, le comte Solohoupe épousa une belle jeune fille, d’origine polonaise comme lui, la fille du comte Michel Wilhorwsky, aimable et spirituel seigneur, type accompli de cette exquise politesse du siècle; dernier, devenue si rare de nos jours. Dilettante passionné, le comte Wilhorwsky était le Mécène avoué de tous les artistes étrangers qui se rendaient à Saint-Pétersbourg. Ils trouvaient dans sa