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hâte d’aller échanger contre de curieuses futilités les dollars poinçonnés que nous avions apportés de Macao. Nous prîmes à peine le temps de jeter un coup d’œil sur les chambres que nous avait destinées M. Forbes, et, tournant sur la droite, nous sortîmes du jardin américain pour entrer dans Old-China-Street.

On nous avait assuré que le moment de notre arrivée servirait merveilleusement nos projets d’acquisition. L’approche de l’année nouvelle devait rendre les marchands chinois plus accommodans, et prêter, disait-on, un charme irrésistible au tintement argentin de nos dollars. Une loi formelle oblige en effet les sujets du Céleste Empire à balancer leurs comptes et à terminer leurs affaires avant que la lune de janvier ait montré son premier croissant à l’horizon. Cependant, lorsqu’après deux ans et demi de station, nous eûmes appris à mieux connaître ces marchands rusés et lymphatiques, dont aucun délai n’épuise la patience, nous comprîmes qu’un Chinois peut au besoin comprimer l’élan de sa cupidité. Quand bien même, débiteur insolvable, il verrait le bambou du tché-s-hien levé sur ses épaules, quand bien même le pétillement de tous les pétards de Physic-Street viendrait lui annoncer que ses heureux voisins sont libres et n’ont plus qu’à se réjouir, il ne laissera pas ses prix fléchir d’un sapec, si un imprudent enthousiasme lui a fait entrevoir le succès probable de ses prétentions; mais nous étions en Chine de nouveaux débarqués, et nous devions acquitter l’inévitable tribut auquel nous condamnait notre inexpérience.

Entre tous ces marchands, celui qui captiva le mieux notre confiance et dont la boutique se vit assaillie par les plus nombreux chalands fut le vénérable Sao-qua, vieillard au chef branlant, à la queue grisonnante, chaudement enveloppé dans la longue robe ouatée qui venait se croiser sur sa poitrine. Son habile étalage mettait chaque objet en lumière, et faisait valoir l’un par l’autre tous ces vases précieux montés sur des trépieds de bois aux délicates ciselures, dont les branches pressaient de leurs gracieuses efflorescences un bronze contemporain des Ming, une amphore de Nan-king, une coupe en corne de rhinocéros chargée de pampres et d’oiseaux, un cornet d’ébène incrusté de nacre, une pierre de jade admirablement travaillée. Il n’est pas nécessaire de savoir parler le dialecte mandarin ou le patois de Canton pour se faire entendre des marchands de China-Street. Il suffit de posséder une légère connaissance de la langue anglaise. L’anglais est devenu la langue commerciale de l’extrême Orient, non pas, gardez-vous de le croire, cet âpre et rude idiome qui s’échappe en sifflant des gosiers britanniques, mais l’anglais adouci, amendé, aux faciles syllabes, aux molles désinences, véritable fruit exotique greffé sur un sauvageon. Les Chinois emploient sans effort ce doux parler créole.