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Céleste Empire; mais l’arrivée d’Amaral avait changé en quelques mois l’aspect de la colonie. L’orgueil portugais avait reparu sur ces fronts humiliés, et la garde urbaine promettait de seconder activement, si son concours devenait nécessaire, la faible garnison recrutée à Lisbonne et à Goa.

Malgré l’impulsion donnée par Amaral à la population portugaise, Macao n’en a pas moins conservé toute la physionomie d’une ville chinoise. On ne rencontre en effet que des Chinois dans le quartier même qu’habitent les Européens. Des groupes au milieu desquels l’homme du peuple, le couli, se fait reconnaître à son humble tunique de toile brune, à la longue tresse de cheveux tournée autour de sa tête, entourent la boutique de quelque marchand ambulant, abrité sous un immense parasol. C’est là que se débitent le riz gonflé dans l’eau bouillante, les viandes et le poisson déjà découpés. Des portefaix gravissent les rampes escarpées, haletant sous le lourd fardeau suspendu à une perche flexible, ou traversent la foule emportant d’un pas rapide et ferme la riche senhora enfermée dans sa chaise. Ce Chinois dont la tète est ceinte d’un linge blanc, et qui se dirige à la hâte vers le promontoire de San-Francisco, s’occupe d’accomplir les premiers rites des funérailles. La mort vient de visiter le toit de ses pères : l’eau qu’il va puiser à la fontaine lavera le visage du défunt; les lingots de papier qu’il doit brûler au bord de la source apaiseront par une fraude hardie les génies irrités et paieront en fumée le prix qui leur est dû. Mais n’essayez point de vous engager dans ces ruelles étroites qui vous conduisaient d’ordinaire de la Praya-Grande vers la Praya-Manduco. Ces ruelles sont encombrées par une foule compacte qu’attirent les apprêts solennels d’un mariage. Les pétards éclatent, les cymbales retentissent, et la châsse discrète qui doit enfermer la fiancée sous ses panneaux de laque rouge tout chargés de dorures vient de s’ébranler au milieu des lanternes, des parasols et des gais étendards. Au moment où le joyeux cortège débouche sur la praya du port intérieur, tout mouvement paraît s’arrêter dans cette ruche active. Le forgeron appuie son lourd marteau sur l’enclume, le menuisier dépose son rabot près de la planche de camphre qu’il allait aplanir. Déjà cependant le cortège, rapidement entraîné à la suite de la chaise nuptiale, a tourné l’angle vers lequel s’élèvent les magasins que protège le pavillon des États-Unis. Les travaux, un instant suspendus, sont repris avec plus de ferveur, et le bourdonnement d’une infatigable industrie remplit de nouveau ce quartier habité par la population ouvrière.

Macao était pour nous le premier échantillon du Céleste Empire. On comprend qu’au milieu de tant de longues robes et de tuniques, au milieu de tant de têtes rasées, de figures olivâtres, de fronts quadrangulaires, nous ne pouvions nous mouvoir sans attacher un prix infini