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équitablement réparti embrassa l’ensemble des propriétés sans tenir aucun compte de la nationalité du propriétaire. Les rentes prélevées sur les habitations des Chinois comme sur les demeures des Européens, les droits de patente et d’ancrage, la ferme de certains monopoles, la vente de quelques lots de terrain réduisirent le déficit du budget colonial à 40,000 piastres, dont les négocians de Hong-kong se chargèrent de faire l’avance, et que le gouvernement portugais s’empressa de leur rembourser.

L’avenir financier de la colonie était assuré; mais une grande émotion régnait dans Macao. Le gouverneur portugais ne pouvait ignorer quel sourd mécontentement grondait au sein de cette population chinoise, trois fois plus nombreuse que la population chrétienne et enveloppée par les mêmes murailles. Il devait craindre que les autorités de Canton ne prêtassent volontiers leur concours à un soulèvement qui vengerait leur orgueil offensé. Il aurait donc à contenir la population intérieure de Macao tout en résistant à la pression d’une province qui compte vingt-sept millions d’Habitans. Dans cette lutte inégale, des Chinois seraient, il est vrai, les seuls adversaires de la garnison portugaise; mais pouvait-on oublier ces terribles révoltes qui avaient mis en si grand péril les colonies de Batavia et de Manille? pouvait-on oublier la ruine du premier établissement fondé par les portugais dans les mers de Chine, la soudaine destruction de cette ville florissante que des colons belliqueux avaient élevée vers le milieu du XVIe siècle sur les côtes du Che-kiang, et qu’on vit disparaître dans une seule nuit de surprise et de trahison? Amaral n’avait, pour faire face aux dangers qui le menaçaient, que trois cents baïonnettes recrutées à Goa et commandées par quelques officiers européens. Avec des forces plus considérables, un de ses prédécesseurs, surpris en plein jour par une sédition populaire, s’était vu obligé de s’enfermer dans les forts et de livrer pendant quarante-huit heures la ville de Macao aux violences des Chinois soulevés. D’autres fois il avait suffi d’un ordre des mandarins pour faire évacuer par tous les sujets du Céleste Empire le territoire concédé aux étrangers et pour affamer par une sorte d’interdit la population portugaise. Si une crise pareille, imprudemment provoquée, venait à éclater, avait-on songé aux moyens d’en sortir?

Amaral ne se laissait point ébranler par ces tristes souvenirs : il avait sans doute déployé une singulière audace dans ses innovations, mais il ne s’était point lancé dans des témérités irréfléchies. Il savait que la guerre de l’opium était un grand fait dont il fallait tenir compte. Les victoires des Anglais avaient été un triomphe moral pour tous les Européens. Après avoir long-temps accablé les barbares d’un ignorant mépris, les Chinois étaient plutôt portés depuis quelques années à s’exagérer leur puissance. Le vice-roi de Canton ne pouvait plus