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habile et ferme, M. Kraewsky, est chargé de la rédaction du premier depuis 1839; M. Panaëff dirige le second depuis 1847. Les Annales de la Patrie indiquent par leur titre le rôle qu’elles ont joué dans le mouvement intellectuel des dernières années, la mission qu’elles s’étaient donnée et qu’elles continuent à remplir avec persévérance. Soutenir le grand principe de nationalité, en faciliter l’application par des recherches historiques, par une critique large et hardie, bien qu’imprégnée quelquefois de mysticisme germanique, tel fut l’objet constant de cette publication, dont un ardent critique, M. Billinsky, a été pendant quelques années la plume militante. M. Billinsky s’était fait le champion de l’école de Gogol, dont les tendances réalistes avaient d’abord soulevé une assez vive opposition. Après huit ans de luttes dans les Annales de la Patrie, — de 1839 à 1847, — M. Billinsky transporta sa polémique dans le Contemporain, publication qui résume avec une exactitude parfaite le mouvement de la pensée littéraire en Russie dans sa phase la plus récente[1]. Parmi les rédacteurs du Contemporain, on compte M. Nikitenko, Petit-Russien comme Gogol, esprit élégant, plein de confiance dans les destinées intellectuelles de son pays, gardant par-devers lui les principes d’un slavisme modéré, mais soutenant avec chaleur les intérêts de la littérature russe, auxquels sa plume a rendu plus d’un service, M. Nikitenko, professeur de belles-lettres russes à l’université de Saint-Pétersbourg, répand incessamment parmi ses nombreux auditeurs les principes et le goût de la poésie nationale. M. Pletnieff, recteur de la même université, a pris part de son côté à la rédaction du Contemporain et l’a même dirigée pendant quelque temps. Écrivain de talent, philologue distingué, M. Pletnieff porte dans la critique un esprit à la fois conciliant et délicat, qui sait se tenir en garde contre les exigences d’un dogmatisme exclusif aussi bien que contre les banales complaisances d’un éclectisme bâtard. Ce sont là deux écueils que la critique russe n’a pas toujours su éviter, et entre lesquels elle doit s’appliquer de plus en plus à frayer sa voie.

Le théâtre n’a point été aussi heureux que la critique, et il ne compte encore que pour bien peu dans le mouvement littéraire de la Russie. On y applaudit encore les vieilles comédies de Fonviesen, et dans le nouveau répertoire on ne peut citer que deux pièces vraiment remarquables : Gore o Touma (les Peines de l’Esprit), de Griboëdoff, et le Réviseur, de Gogol. Ce sont deux grandes comédies, deux énergiques peintures des mœurs et des travers de la société russe. Une pièce de M. Ostrovsky, intitulée Svoï loudi, sotchtelza (ce sont nos gens, nous compterons après), mérite aussi d’être mentionnée. Sous ce titre un peu bizarre, M. Ostrovsky a tracé des mœurs de la classe marchande à

  1. M. Billinsky est mort en 1848.