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sujets que le roman peut aborder et ceux que la comédie doit se proposer, qu’une idée, si vraie qu’elle soit, en passant de la forme narrative à la forme dramatique, perd toujours la meilleure partie de sa valeur. Si je voulais apporter des preuves, des preuves décisives, je n’aurais que l’embarras du choix. Aussi je me contente de rappeler ce que j’ai déjà dit plus d’une fois, ce que bien d’autres ont dit avant moi. C’est à la société au milieu de laquelle nous vivons qu’il faut demander des sujets de comédie. Les ridicules survivent à toutes les révolutions, et M. Sandeau, en jetant les yeux autour de lui, verra que Molière, Regnard et Beaumarchais n’ont corrige personne. Quoi qu’aient pu dire les philosophes du siècle dernier sur la perfectibilité indéfinie de la race humaine, malgré les pompeuses promesses de Carat et de Condorcet, les vices et les ridicules sont éternels, et les sages formeront toujours la minorité. La raison aura beau parler, elle n’imposera jamais silence à la comédie, car elle n’étouffera ni les vices ni les ridicules. Je conseille donc à M. Sandeau d’interroger la vie commune, au lieu de feuilleter ses livres. Nous savons dès à présent tout ce qu’il peut faire, c’est à lui d’employer ses facultés dans les meilleures conditions possibles. Or, il n’a qu’à remonter le cours du passé pour comprendre que l’art dramatique vit de création aussi bien que l’art du récit. S’il est arrivé à des poètes éminens de chercher le thème de leurs compositions dramatiques ailleurs que dans l’histoire ou dans la société, ils ont toujours eu grand soin de choisir des sujets à développer, jamais des sujets déjà complètement développés. Pourquoi ne pas profiter de leur exemple? pourquoi lutter contre la nature des choses? M. Sandeau a trop de bon sens et de goût pour ne pas nous donner bientôt une comédie complètement nouvelle.


GUSTAVE PLANCHE.


LES GAIETÉS CHAMPÊTRES, PAR M. J. JANIN.[1]

La fantaisie est l’incontestable privilège des hommes de talent; mais n’a-t-elle pas ses limites? Fille de l’imagination, a-t-elle le droit d’égarer sa mère? L’éclat du style, la vivacité des couleurs, l’art de varier à l’infini les évolutions du langage, suffisent-ils pour autoriser un écrivain à oublier que toute phrase doit renfermer une idée, et que tout livre doit avoir un but? Ces questions seraient peut-être secondaires en Allemagne, ou même en Angleterre, dans ces littératures complaisantes où l’esprit du lecteur ne demande qu’à s’attarder en chemin, où l’attention, l’attendrissement et le sourire ne s’effraient ni des langueurs de Clarisse, ni des digressions de Wilhelm Meister, ni des boutades de Tristram. En France, dans le pays de Gil Blas et de Candide, dans cette langue dont on a pu dire qu’un mot retranché y valait un louis, le lecteur accepte moins aisément ce qui ne répond pas à ce goût de concision et de netteté; il veut savoir où un auteur le mène, avant de s’arrêter avec lui pour cueillir les fleurs des buissons ou respirer les brises matinales; c’est pourquoi nous n’avons pas accueilli sans quelque inquiétude la nouvelle tentative de M. Jules Janin.

En passant de la Religieuse de Toulouse aux Gaietés champêtres, M. Janin vient de prouver, une fois de plus, la souplesse d’un talent que ne déconcertent ni

  1. 2 vol. in-8o, chez Michel Levi frères, rue Vivienne, 2 bis.