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et une femme d’un mérite éminent, Mme Farrenc, professeur de piano au Conservatoire, qui a écrit plusieurs symphonies, des quatuors, des sonates pour piano et violon, et tout récemment un nonetto pour des instrumens à vent où se révèle une intelligence peu commune et une connaissance des lois de la com- position dont beaucoup d’hommes pourraient être justement fiers. Si nous ne sommes pas encore très riches en compositeurs de musique de chambre et purement instrumentale, nous possédons toujours les meilleurs orchestres et les plus habiles virtuoses de l’Europe. C’est toujours à Paris qu’il faut venir se faire couronner et recevoir la consécration de la grande et solide renommée. Aussi, il y a quelques mois, avons-nous entendu, dans plusieurs concerts publics, M. Vieuxtemps, violoniste remarquable, dont le talent vigoureux mérite de fixer l’attention de la critique.

L’art de jouer du violon est contemporain de l’art de chanter, il en a partagé toutes les vicissitudes. Les grands violonistes sont presque tous du même pays qui a produit les grands chanteurs, c’est-à-dire de l’Italie, berceau de la mélodie vocale. C’est à Corelli que commence la chaîne des violonistes célèbres qui se prolonge jusqu’à Paganini, et dont Geminiani, Locatelli, Vivaldi, Tartini, Nardini, Pugnani et Viotti ont été autant d’anneaux merveilleux. L’école française se rattache directement à l’école italienne par Somis, qui a été élève de Corelli, par son neveu Chabran, surtout par Leclair, qui avait étudié avec Somis, et successivement par de célèbres virtuoses qui vinrent se fixer à Paris, et dont le plus illustre de tous a été Viotti, le dernier représentant de la belle école italienne. L’histoire de l’art de jouer du violon pourrait se diviser en trois grandes époques, dont chacune est marquée par un artiste célèbre qui en exprime le caractère. La première époque commence à Corelli et se prolonge jusqu’à Tartini, la seconde s’étend depuis Tartini jusqu’à Viotti, et la troisième depuis Viotti jusqu’à Paganini. Corelli, Tartini, Viotti et Paganini, voilà quatre violonistes de premier ordre dont le style et les compositions résument à peu près toute l’histoire du violon depuis le XVIIe siècle jusqu’à nos jours. Chacune de ces époques de l’art de jouer du violon correspond à une évolution de la musique vocale et du drame lyrique, qui en est la forme la plus compliquée.

Avant la naissance du drame lyrique et celle de la modulation jusqu’à la première moitié du XVIIe siècle, le violon, comme presque tous les autres instrumens, excepté l’orgue, n’a pas de style ni de musique qui lui soient propres. Il suit et il imite la voix humaine, dont il ne dépasse guère le diapason. Corelli dégage le violon de cette servitude en composant pour cet instrument ses charmantes sonates, dans lesquelles on retrouve le style et les délicatesses de la musique vocale de cette époque. Tartini, qui fut un homme de génie et un grand harmoniste pour son temps, a fait faire de grands progrès à l’art du violon. Il en a accru les difficultés, et s’est appliqué particulièrement à développer la puissance et la délicatesse de l’archet, sur lequel il a fait un traité qui est encore ce qu’on possède de mieux sur cette partie intéressante du mécanisme. Entre les mains de Tartini et celles de ses nombreux élèves, le violon acquiert une puissance de sonorité, une richesse de combinaisons mélodiques et harmoniques et une propriété de style qu’il n’avait pas avant ce maître. Tout en suivant les traces de la musique vocale, qu’il ne doit jamais perdre de vue, le