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rendrait exclusivement le marché de l’Allemagne, et que la contrefaçon belge serait condamnée à mourir de sa belle mort, si elle persistait plus long-temps à s’agiter dans le vide.

F. BULOZ.


REVUE MUSICALE.


LES THEATRES ET LES CONCERTS.

Au milieu de ce grand mouvement des esprits qui entraîne la France et l’Europe vers des destinées inconnues, que deviennent les théâtres lyriques, que devient l’art musical tout entier dans ses formes aussi diverses que charmantes? C’est une question qu’il est bien permis de se poser lorsqu’on voit surgir de tous côtés des prophètes de malheur qui menacent de transformer à leur image la civilisation, fille des siècles et de l’intelligence. Ce n’est pas que nous éprouvions personnellement la moindre inquiétude sur le triomphe des bons principes et sur l’évolution pacifique de la crise où nous sommes, crise qui, pour le dire en passant, tient à des causes bien autrement profondes que les vices ou les lacunes de notre constitution. En effet, que l’année fatidique de 1852 nous apporte la monarchie ou consolide la république, qu’elle maintienne M. Louis Bonaparte sur le siège de la présidence ou que nous ayons un nouveau pilote au gouvernail de la France, le problème à résoudre restera toujours le même, et nous aurons à peu près les mêmes difficultés à vaincre : il s’agira toujours d’organiser le nouveau principe d’autorité qui gouverne la société moderne et de frayer un passage légal aux nombreux convives qui demandent à prendre place au banquet de la civilisation. Quoi qu’il en soit de ce redoutable problème que nous ne pouvons ici qu’effleurer du regard, il n’en est pas moins curieux à constater qu’aux deux grandes époques critiques de l’histoire moderne, aux XVIe et XVIIIe siècles, l’art musical a subi une transformation très analogue à celle qu’éprouvait alors l’esprit humain. Est-il besoin de rappeler que le drame lyrique est né à Florence vers 1590, dans un conciliabule des beaux esprits qui cherchaient à raviver par une curiosité d’archéologues le drame d’Eschyle, de Sophocle et d’Euripide? Et qui ne sait que Luther, en brisant l’unité catholique, en créant le dogme du rationalisme chrétien, s’est puissamment servi de la musique pour rallier et pacifier les masses triomphantes? Ainsi l’opéra, créé par un groupe de dilettanti et de compositeurs de canzonnettes, les chorals du culte protestant d’une harmonie très simple mis à la portée du peuple, dont on recherchait l’adhésion, sont deux faits qui prouvent la mai chu corrélative de l’art musical et de la société moderne.

Eu ramenant le drame lyrique à des lois plus sévères, en soumettant le compositeur et lis. fantaisie de ses interprètes aux règles de la vraisemblance et de la vérité, en faisant concourir tous les élémens de ce vaste poème à la peinture des caractères et des passions, Cluck obéissait aussi aux tendances de son époque et opérait dans le domaine de l’art une révolution parfaitement conforme à celle qui allait bientôt renouveler la société française et changer la face de l’Europe. Et pour rendre ce rapprochement plus évident encore qu’ingénieux, il est bon de remarquer que les révolutions de l’art musical, pas plus que les révolutions de l’esprit humain dont elles semblent une