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dériver jusqu’à cette idée radicale d’un droit éternel du peuple, sur laquelle le président croit devoir bâtir sa fortune.

Nous sommes très fâchés d’en être aujourd’hui à dénoncer ainsi le message ; mais la situation qu’il a créée est de celles sur lesquelles il vaut toujours mieux s’éclairer à temps que s’abuser à moitié. La pente révolutionnaire que nous avons signalée dans ce document remarquable n’est pourtant pas l’unique ; il y a un autre point par où le message s’inspire encore du génie des révolutions. Le président, qui n’a pas été servi dans cette occasion par son bonheur ordinaire, ne se contente pas de déclarer qu’il est et sera toujours conservateur ; il a l’air de plus absolument persuadé qu’il est le conservateur par excellence, qu’il l’est de son propre chef, sinon à l’exclusion de l’assemblée, tout au moins à titre très supérieur et par une influence très dominante. Nous ne doutons pas un instant que le prince Louis Bonaparte n’ait la conviction d’être l’homme qu’il annonce ; il est d’autant plus fâcheux que ses démonstrations les plus récentes ne répondent pas à son désir. Cette opinion que le président a de lui et de son autorité personnelle, cette opinion dont on lui rebat les oreilles dans son intimité et qu’il eût été plus avise d’enfermer davantage, n’est en effet ni plus ni moins qu’un surcroît de menace pour la vraie politique conservatrice, à laquelle on essaie ainsi de faire concurrence. La politique de conservation, telle qu’elle ressort du message, c’est bien d’abord de supprimer la loi du 31 mai, que la majorité de l’assemblée persiste à prendre pour une garantie indispensable d’ordre et de sécurité ; — mais c’est aussi, et rien de plus grave n’avait encore été risqué, c’est de subordonner hardiment, publiquement, le rôle de l’assemblée dans l’état à celui du pouvoir exécutif.

Le parti conservateur ne pensait point que ce fût trop pour se défendre d’avoir par devers soi la loi du 31 mai et l’accord général des deux pouvoirs. Le message renonce à la loi et déclare implicitement, en attaquant de front la majorité de l’assemblée, qui n’y renonce pas, que c’est assez, pour gouverner la France, des illuminations du pouvoir exécutif. Le message, qui a le tort de discuter là-dessus beaucoup plus qu’il n’expose, discute, pour comble de malheur, en s’aidant des argumens trop connus dont on s’est déjà tant de fois servi contre l’assemblée. Plus poli, mais non moins significatif que certains organes de la presse, il aboutit assez directement à diminuer l’assemblée nationale au profit conjoint du peuple souverain et du président de la république. Le message rentre donc par trop de côtés dans cette polémique prétendue conservatrice dont on ne fera jamais une justice trop sévère, quand on pense au mal qu’elle a causé, quand on aperçoit combien elle est plutôt un instrument de révolution que de salut.

Écoutez ces infatigables détracteurs des institutions libres et des assemblées délibérantes. Ils ne cachent point assez qu’ils ne visent à ruiner les assemblées en France que pour dresser sur ces ruines mêmes le piédestal de leur idole ; mais ils s’imaginent qu’ils sauvent les dehors et qu’ils grandissent leur petitesse en s’alfublant à propos de l’aspect contre-révolutionnaire. « Ce qui recommande la théocratie, disait il y a déjà long-temps M. Royer-Coliard, c’est qu’elle a un aspect contre-révolutionnaire. » Pourquoi ne tenterait-on pas de recommander ainsi l’impérialisme ressuscité ? Vraiment, écoutez-les : s’ils ont, eux aussi, dans leur for intérieur ou sur leur écritoire, prèle contre les assemblées