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pût accueillir une solution qui eût ressemblé à une désertion, — et loin de céder à l’émoi contagieux du message présidentiel, loin de suivre le président que personne pourtant ne respecte davantage dans les sentiers du radicalisme, où il a si malheureusement glissé, l’honorable rapporteur exhortait la majorité à ne point céder le poste où elle s’est établie pour la défense des véritables idées d’ordre et de droit ; il l’exhortait énergiquement à ne point permettre qu’en dépit de la raison et de la sécurité publique, on remplaçât l’éleclorat conditionnel par l’éleclorat sans condition.

M. de Vatimesnil a soutenu comme il convenait le drapeau arboré par M. Daru. Le débat d’hier, quelle que soit la singularité du résultat sur lequel nous allons tout à l’heure revenir, le débat d’hier et le discours de M. de Vatimesnil n’ont pas endommagé, tant s’en faut, ils ont éclairci, confirmé le système de la loi du 31 mai. M. de Vatimesnil n’a eu garde de sacrilier les conditions qu’il s’agit toujours d’attacher à l’électoral. Il estime toujours que la constatation du domicile est indispensable pour l’exercice du droit de suffrage, et il ne reconnaît de domicile sérieux qu’après trois ans révolus, sauf une exception qu’il indique en faveur du domicile d’origine pour l’homme qui revient s’établir dans son pays, et qui n’a pas très sensiblement besoin de trois ans avant d’y avoir repris son assiette. Il ne reconnaît enfin la possession de ce domicile triennal qu’au moyen des preuves irréfragables dont l’ensemble est détaillé dans la loi du 31 mai. Aux cinq espèces de preuves admises par cette loi, il propose seulement d’en ajouter une sixième, vu l’insuffisance de la liste des imposables, sur laquelle on avait compté. Toutes ces modifications spontanément préparées pour la loi du 31 mai, M. de Vatimesnil ne veut pas cependant qu’on les discute au sujet du nouveau projet de loi que le ministère apporte à la suite du message : il les réserve pour la loi de l’administration municipale et départementale, dont il est le rapporteur et dont il détache ainsi le chapitre relatif aux élections, qui sera mis, comme on l’a décidé aujourd’hui, à l’ordre du jour de lundi prochain. De cette loi d’administration intérieure, la nouvelle organisation électorale passera facilement dans la sphère des élections politiques auxquelles un amendement spécial l’aura bientôt appliquée.

Est-ce donc par un vain amour de contradiction et de représailles que M. de Vatimesnil a refusé de discuter la loi du gouvernement ? est-ce par tendresse paternelle pour la sienne et pour ménager à l’assemblée l’honneur d’une initiative que le gouvernement pouvait peut-être ambitionner ? Personne ne prendra le change. La conduite de M. de Vatimesnil et de la majorité, qui s’est rangée de son avis, est aussi claire que le rapport de M. Daru. Elle procède du même point de départ. La loi du 15 mars 1849 est une loi d’esprit révolutionnaire ; la loi du 31 mai rétablit au contraire l’esprit de légalité. Entre les deux, il est un abîme infranchissable ; le président a peut-être cru l’enjamber avec son message et avec son projet, maintenant avorté, d’un nouvel électoral. La majorité ne saurait l’imiter, elle ne peut plus que souhaiter pour lui qu’il ne soit point tombé dans le gouffre, quand il pensait le traverser d’un bond. La majorité, qui veut retenir dans la loi électorale la condition du domicile, n’avait point à débattre une loi où il n’y avait plus de condition du tout. Bref, encore une fois, la majorité raisonnant avec l’idée du droit positif, — du droit périssable, soit, mais précis du moins et pratique, — la majorité n’était pas faite pour