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agricole au travail industriel. Comme les tisserands ne possèdent pas les instrumens d’agriculture, ils les empruntent à un fermier de leur voisinage, et, quand arrive le temps de la moisson, ils s’acquittent envers lui en l’aidant à faire sa récolte, particulièrement celle des foins et celle du sarrasin. Les fils et les filles des cultivateurs s’occupent, de leur côté, à dévider ou à tisser le coton durant la saison où chôme le travail des campagnes. Les hommes de quelques communes du district de Flers viennent chaque année par bandes, dans la plaine de Caen, dans la Beauce ou le pays de Caux, se louer pour la moisson, et retournent ensuite s’asseoir devant le métier qui les attend. Grâce à une telle organisation, cette fabrique a pu traverser la crise économique de 1847, la crise politique de 1848, sans en ressentir trop violemment le contre-coup. C’est parce qu’elle n’a pas de frais généraux à supporter, parce qu’elle peut se contenter de très petits bénéfices, qu’elle se soutient et prospère en face de la grande industrie.

Sans être encore ici très répandue, l’instruction gagne du terrain. Les jeunes hommes, ceux qui sont arrivés depuis 1830 à l’âge auquel on fréquente les écoles, ont généralement appris à lire. Par malheur, on retire trop tôt les enfans de l’école; impatient de les utiliser dans le travail commun, le père interrompt leur instruction avant que les élèves aient pu l’achever. L’institution des frères ignorantins, inconnue dans ce pays, y est remplacée par les frères de Saint-Joseph du Mans, qui ont des établissemens à Flers et, dans le voisinage, à Saint-Pierre-d’Entre-Monts, où ils rendent des services universellement appréciés. Divers indices sembleraient révéler dans cette population un certain goût pour la lecture, qui se prononcerait mieux sans doute, si elle avait des livres appropriés à ses besoins, à ses goûts, à ses facultés. Ici comme partout, la littérature populaire fait défaut; au moins les détestables publications qui trop souvent y suppléent ne pénètrent-elles pas au milieu de ces gens simples et honnêtes. A défaut d’autres écrits, ils recherchent avec une certaine ardeur des almanachs. des relations de grands procès criminels, des chansons, des complaintes, quelques récits extrêmement abrégés de notre épopée militaire du commencement de ce siècle. Ces brochures sont achetées sur les places publiques, les jours de foire ou les dimanches, à quelques marchands ambulans, qui joignent souvent à ce commerce celui de quelque spécifique universel.

La religion est généralement respectée parmi les ouvriers de Flers, mais elle consiste bien plus pour eux dans l’observance des pratiques extérieures que dans la connaissance des principes même les plus élémentaires. Les prêtres exercent une action puissante, soit à cause de leur caractère, soit à cause de leur instruction, soit à cause de leur dévouement aux pauvres et à tous ceux qui souffrent. Le vice, si habile