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proférées, et non sur la masse de la population. En réalité, le concours des habits et des blouses n’a pas fait défaut dans cette lamentable circonstance; mais si, en face de pareils malheurs, les ouvriers, obéissant à une première impulsion, n’ont jamais besoin d’un appel pour apporter l’aide de leurs bras, on les trouve après l’événement tout-à-fait insensibles aux pertes qui peuvent frapper les manufacturiers. Douloureux symptômes, dont la trace caractérise exactement l’état actuel des esprits! Voilà où en est une population trop long-temps négligée, qui manque de vie morale. Le bien et le mal se mêlent confusément dans ses rangs; mais les cœurs s’ouvrent bien plus aisément à la voix qui flatte les passions qu’aux paroles qui rappellent les devoirs. Atteints par l’idée d’émancipation, vaguement tourmentés par le désir d’avoir une part plus large dans les avantages sociaux, agités par quelques meneurs politiques, les ouvriers d’Elbeuf ne sont point assez éclairés pour comprendre, même par instinct, le vrai rôle et la vraie dignité du travail, pour distinguer, dans leurs propres aspirations, les principes auxquels ils peuvent confier leur destinée de ceux qui les conduiraient à des maux incalculables. Ce qui leur parvient des doctrines socialistes, ils ne le comprennent pas; ils n’y voient qu’un mot qui veut dire protestation.

Quels moyens ont été mis en œuvre pour conjurer le mal? Les fabricans ont, ici comme à Rouen, amélioré les conditions matérielles de leurs établissemens, cela est vrai : ils ont rempli leur rôle individuel avec un véritable esprit de bienveillance; mais la sollicitude qui devait suivre les masses hors de la fabrique n’était ni assez large ni assez clairvoyante. Le champ de l’instruction est toujours très étroit, et les circonstances qui facilitent la démoralisation sont toujours nombreuses. On avait signalé depuis long-temps le funeste régime des maisons garnies où logent, avec les ouvriers étrangers au pays, ceux qui viennent des campagnes environnantes et ne retournent chez eux que le mercredi et le samedi soir. Figurez-vous de grandes salles autour desquelles sont collés l’un près de l’autre quarante à cinquante lits, et où des hommes, des femmes et des enfans venaient naguère encore confusément chercher un gîte. Si, dans les ateliers, le rapprochement des âges et des sexes peut réagir d’une manière fâcheuse sur les mœurs, que dire de cet entassement nocturne en des lieux d’où toute réserve est souvent bannie? Il n’y a plus là cette discipline, cette surveillance, qui forment dans les fabriques un obstacle à l’immoralité. L’autorité municipale d’Elbeuf, il faut lui rendre cette justice, a porté ses regards sur ce triste état de choses; elle a pu exiger que des salles spéciales fussent réservées aux hommes et aux femmes : ces louables dispositions n’ont pas encore obtenu de résultats assez complets. D’abord,