ordinaire des fabriques. Des difficultés naissent-elles avec le patron, des délégués sont communément choisis pour en conférer avec le chef de l’usine. On ne s’en rapporte plus alors, comme pour la désignation du curé, au hasard de l’ancienneté; on nomme ceux des ouvriers qui paraissent le plus aptes à soutenir la prétention de tous les autres : c’est le système fondamental de notre gouvernement transporté dans la fabrique. En principe, le mandat donné n’est pas généralement impératif; dans la pratique, il le devient presque toujours, les délégués ne se départant guère de leurs exigences sans en avoir référé à leurs mandans. Limitée dans le cercle de ceux qu’elle intéresse, cette habitude doit devenir de plus en plus un moyen de conciliation entre les divers élémens de l’ordre industriel; elle est également un gage de calme pour la société, quand les préoccupations du dehors n’en viennent pas momentanément changer la direction.
Entraîné dans l’orbite de la grande métropole industrielle de la Normandie, bien qu’avec une fabrication distincte, Elbeuf reproduit, à quelques traits caractéristiques près, la physionomie morale de la ville de Rouen. L’industrie dont cette ville est le siège et dont elle porte si fièrement l’étendard est une de celles qui ont été le plus profondément transformées par les progrès de la mécanique, et où le sort de la population a été conséquemment assailli par le plus d’orages. A mesure que les manufacturiers, grâce à une énergique et intelligente initiative, gagnaient du terrain dans l’arène industrielle, le travail subissait quelque révolution qui bouleversait des destinées paisibles et envenimait quelquefois les cœurs. Quand des troubles éclatèrent à Elbeuf en 1848, le feu couvait déjà sous la cendre depuis un certain temps. Un aveugle et sinistre mécontentement avait été provoqué par l’introduction de nouveaux procédés qui simplifiaient le rôle du travailleur : le vent des doctrines exagérées n’eut pas de peine à déchaîner la tempête. Les élémens faciles à soulever étaient d’ailleurs plus nombreux qu’aujourd’hui parmi les masses. Les ouvriers d’Elbeuf se divisent en deux classes : ceux du pays même, et ceux qui ont été appelés du dehors, et qui rapportent de leurs courses vagabondes, avec les vices de différentes localités, une somme plus forte d’idées presque toujours fausses ou peu réfléchies. En 18-48, cette division était encore de date récente, car le nombre des ouvriers étrangers ne s’était grossi que lorsque la fabrication des draps en était arrivée à employer les métiers à la Jacquart : il avait fallu alors faire venir des travailleurs du Lyonnais et du Forez, déjà familiers avec le nouveau système. Les travailleurs indigènes s’étant peu à peu habitués au maniement de ce mécanisme, on a pu réduire depuis une population étrangère, toujours plus inflammable et plus malaisée à contenir. On pourrait comparer les ouvriers nomades, qui composent environ en ce moment le tiers du