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un goût inné des réunions, l’homme peut plus facilement être amené à passer au moins une partie de ses heures de loisir en famille, dans sa demeure, s’il n’en est pas repoussé par les conditions mêmes qu’il y rencontre. Le côté moral de ces considérations n’échappe pas sans doute à la municipalité rouennaise, bien que ses déterminations soient un peu gênées par l’état de ses finances. On n’avance pas aussi vite qu’on le voudrait. Cependant le plus décrié des quartiers de la vieille cité, le quartier Martainville, commence à s’ouvrir à l’air et à la circulation. L’administration de M. Henri Barbet, ancien maire de Rouen, avait préparé le percement d’une large et belle rue, qui passe sur la lisière de cette partie de la ville trop long-temps inabordable. Destinée à devenir une des artères principales de Rouen, cette voie forme dès ce moment un point où viennent prendre jour des ruelles nombreuses. Quelques maisons ont été en outre abattues dans le centre même du quartier Martainville; on essayait tout récemment d’organiser une loterie dont le produit devait être consacré à l’ouverture d’une nouvelle rue qui le couperait de part en part. Tout en se défiant du moyen proposé pour réunir les fonds nécessaires, on doit dire que la rue projetée serait un des moyens les plus sûrs de renouveler la face de ce domaine de la misère.

Au devoir de combattre l’ignorance et de remédier à la vicieuse disposition de certains quartiers, il s’en joint un autre non moins impérieux, non moins vivement senti par les hommes qui veulent relever les ouvriers sur l’échelle sociale : c’est celui de lutter contre l’ivrognerie. Les maux de toute sorte qu’engendre à Rouen pour la population laborieuse ce vice déplorable ont suggéré l’idée d’y établir une société de tempérance, non plus d’après les principes trop puritains des institutions de ce genre existant aux États-Unis ou en Angleterre, mais dans des conditions appropriées à nos mœurs. Saisi de la proposition par le préfet de la Seine-Inférieure, le conseil-général en a approuvé la pensée durant sa session dernière. Il ne s’agirait pas pour les membres de la future société de renoncer à l’usage de toute boisson enivrante. Avec le sens droit de notre pays, qui peut bien s’égarer un moment sous l’influence d’impressions soudaines et irréfléchies, mais qui est instinctivement opposé aux excentricités systématiques, de telles exagérations n’auraient pas la moindre chance de succès. L’institution projetée voudrait éclairer les classes ouvrières sur les dangers résultant de l’abus des liqueurs alcooliques, faire appel aux sentimens de dignité qu’outrage l’ivrognerie et honorer par quelques distinctions les exemples de sobriété et de bonne conduite. Cette œuvre de haute moralisation serait profitable à la valeur intrinsèque de l’homme comme à l’aisance des familles. Les fruits d’une telle propagande, on ne peut le nier, mûriraient lentement; mais c’est un motif