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et qui doivent en définitive tourner au bénéfice de la société générale, entraînent dans les ateliers de brusques reviremens, dont les travailleurs ressentent aussitôt les douloureux effets. Viennent en outre de temps à autre les crises inhérentes à tout large et rapide essor de l’activité humaine, qui surprennent la société industrielle entièrement désarmée. Cette deuxième époque est marquée par la prolongation du travail, la dépréciation des salaires, en un mot par l’abus de toutes les forces concourant à la production et par l’impuissance où elles sont isolément d’opposer au tourbillon une résistance efficace.

La troisième période, dans laquelle nous sommes entrés, a pour caractère essentiel un effort unanime en vue de coordonner des élémens épars qui se heurtaient confusément. Qu’on jette un regard sur l’espace parcouru; qu’on énumère, dans le seul ordre des mesures générales, toutes les lois intervenues soit pour favoriser la prévoyance individuelle, soit pour empêcher certains excès dans le travail, soit pour rétablir l’égalité entre les divers élémens concourant à la production ou pour prêter un appui tutélaire au travailleur dans les circonstances difficiles de sa vie, et on saisira mieux à quelles exigences il a fallu satisfaire. C’est peut-être pour avoir hésité trop long-temps à envisager en fait les besoins du travail, tels qu’ils résultent du développement de l’industrie et des classes industrielles, que des aberrations si grossières, des doctrines si contraires aux intérêts sociaux comme à ceux de l’individu, ont pu bouleverser un moment les destinées de notre pays. Résister à ce dévergondage en cherchant à prévenir ou à tempérer les vicissitudes qui n’échappent pas entièrement aux prévisions humaines, telle est, au milieu du tâtonnement inséparable d’une évolution aussi complexe, la tendance des esprits durant la troisième phase de l’ère industrielle que nous parcourons. Envisagée à ce point de vue, la question n’est plus particulière à telle ou telle zone de la France : elle embrasse le pays entier; mais nulle part les trois phases de notre histoire économique ne sont plus accentuées que dans ceux des districts normands où les ouvriers travaillent en atelier. La ville de Rouen porte la trace vivante encore des inconvéniens du régime évanoui à côté d’améliorations déjà accomplies, et d’un déploiement considérable d’énergie pour en réaliser d’autres. Certes, si nous devons trouver sur ce théâtre des altérations profondes du sens moral, nous verrons du moins qu’on s’occupe sérieusement de fermer des plaies saignantes et de donner satisfaction aux besoins les plus impérieux.

Dès qu’on pénètre dans la vie morale des ouvriers rouennais, une circonstance vient affliger les regards : la famille est en général très imparfaitement constituée; elle présente rarement cette unité que cimentent les liens d’une affection réciproque et d’une destinée commune. Chacun vit de son côté, l’union ne consiste guère que dans le