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Shanklin une vingtaine de maisons sur le bord de la mer, ainsi placées en espalier ; mais le village proprement dit est situé sur le plateau supérieur.

Arrivé à Shanklin avec l’aversion systématique des auberges qui me poursuit partout. j’ai fièrement brûlé l’hôtel Daish, et, sans daigner regarder les valets de chambre qui, placés sur la porte, en habits noirs et en bas de soie, souriaient agréablement à mon cocher, j’ai ordonné qu’on me conduisît plus loin. La voiture a tourné à gauche ; je rencontrais à chaque pas d’élégans lodgings entourés de cèdres, de lauriers et de magnolias, mais qui tous étaient occupés. — En avant encore ! criai-je à mon driver. Cependant, après être descendu pendant quelque temps, sentant que le cheval était arrêté par un obstacle sérieux, je mets la tête à la portière. Nous étions arrivés au sommet d’un cliff perpendiculaire de cent cinquante pieds de hauteur au-dessus de la mer, que couronnait une frêle barrière, muette comme mon cheval et mon cocher, mais qui nous en disait cependant assez pour nous engager à ne pas aller plus loin. La mer, à nos pieds, roulait avec fracas et couvrait la plage d’une blanche écume ; force me fut de quitter la route carrossable pour suivre un petit sentier de piéton qui se perdait, en tournant à droite, au milieu des arbres. Je sentis que je descendais dans le chine en l’abordant par son flanc gauche. Le soleil brillait au bas de l’horizon ; c’était l’heure où les ombres portées s’allongent, où tout dans la nature se dessine avec plus de netteté, cette heure chère, pour des motifs différens, aux paysagistes et aux travailleurs de la campagne qui rentrent chez eux. Au loin, la mer reflétait les nuances des nuages lilas répandus dans l’atmosphère ; devant moi se tordaient des arbres rabougris, mais dont le corps immense et les bras vigoureux montraient qu’ils avaient su regagner en largeur ce que le vent de la mer leur refusait en élévation ; leur feuillage, déjà sombre, se découpait sur l’azur empourpre du ciel, A droite, une chaumière, mais une de ces chaumières dont les hôtes se servent d’argenterie et de faïence du Japon, était à moitié cachée dans le fourré et comme ensevelie sous des revêtemens de lierres et des dômes de verdure. Adossé au rocher, ce cottage, Chine Inn[1], est précédé d’une petite terrasse rustique. Là des buveurs silencieux étaient attablés, la pipe de terre à la bouche, devant de grands gobelets d’étain poli. Ce remblai était nécessaire, tant la pente qui conduit au chine est rapide ; les troncs de deux beaux chênes lui servent de contreforts ; des lierres, des myrtes, des rosiers du Bengale, ont élu domicile dans ces troncs vigoureux et en recouvrent l’écorce ; ces plantes parasites font corps avec l’arbre, leurs feuilles se confondent, leurs tiges s’entrelacent, elles

  1. L’hôtel du Chine.