Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/712

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comfortable est tellement sincère chez les Anglais, qu’ils poussent jusqu’à l’exagération ce besoin d’isolement tout-à-fait caractéristique. Non-seulement on ne pénètre pas facilement dans l’intérieur de ces parcs si soigneusement gardés, mais on est tout surpris, après avoir passé l’été auprès de tel manor d’une architecture très remarquable, et dont on ne soupçonnait même pas le voisinage, de le découvrir tout d’un coup à

travers les bois, quand le vent d’automne a commencé à en éclaircir le

feuillage. Sainte-Claire, autrefois à lord Vernon, est, parmi les châteaux des environs de Ryde, le seul vraiment digne d’être mentionné. Il est presque superflu de dire que les collines dont cette ville est entourée sont couvertes de la plus riche végétation, car c’est une condition commune a toutes les parties de l’East-riding de la Medina. Cette riche verdure, jointe aux rians pâturages qu’animent de nombreux

troupeaux, aux milliers de buissons fleuris qui décorent les habitations ou brillent sur les parterres. fait des rives orientales de la Medina un séjour digne d’être chanté par Virgile.

On ne manque pas de mener les voyageurs a un lieu près de la ville

qu’on appelle Dover, et qui sert de sépulture aux infortunés naufragés du Royal-George. Partout dans l’île, et surtout à Ryde, on vend des boîtes à ouvrages, des tabatières, des bobines et d’autres menus

objets qui sont fabriqués avec un bois d’une nature particulière et

d’une couleur foncée, susceptible d’un très beau poli : ce bois a séjourné près de quatre-vingts ans au fond de la mer ; il provient des épaves du bâtiment de guerre dont je viens de parler, qui, par le plus

beau temps, périt corps et biens dans les eaux de Ryde. — Le 29 août

1782, le vaisseau à trois ponts de sa majesté le Royal-George, de 120 canons, ayant à son bord l’amiral Kampenfeld et l,200 hommes d’équipage, se préparait à appareiller ; les hommes avaient reçu leur paie ; le navire était encombré, non-seulement par les familles des soldats qui venaient leur faire leurs adieux, mais par beaucoup de fournisseurs et

de marchands qui l’avaient envahi. Des quantités d’embarcations l’entouraient de toutes parts ; il devait mettre à la voile le soir même. Suivant le procédé en usage à cette époque pour les bâtimens de guerre, et qui est encore suivi, je crois, pour les navires du commerce, on avait incliné le Royal-George sur un de ses flancs, afin de faire quelques raccords de peinture dont la partie inférieure de l’autre côté avait besoin. Or, comme l’opération s’effectuait en pleine mer, pour obtenir cette inclinaison, tous les canons de tribord avaient été reculés, au moyen de leurs amarres, à une distance telle que leur poids, venant à s’ajouter à celui des batteries opposées, pût faire plonger le bâbord du navire de la quantité voulue. Le ciel était pur, la mer tout-à-fait calme. Une rafale inattendue, accompagnée de pluie, ce qu’on appelle en anglais un shower, vint inopinément fondre sur le pauvre bâtiment du côté opposé à