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port de commerce. On l’accuse de persister dans ce projet, malgré l’improbation des chambres, et malgré ce qu’elle perd ici à comprimer l’expansion de force navale que produiraient, sans aucun frais, les françaises accordées au commerce.

L’essor que prendrait l’industrie maritime de Saint-Malo, si le périmètre du bassin lui était entièrement livré, se manifeste par le parti qu’elle a tiré de quelques ares de terrains domaniaux abandonnés par l’état le long du Sillon. Malgré la gêne des servitudes militaires, une fonderie, une forge, une scierie, un atelier d’ajustage s’y sont établis à côté de fours à chaux et de moulins à vapeur. Les prix de location de ces emplacemens surpassent déjà les prix auxquels les a vendus le domaine. Si, dans des temps de sécurité, l’état disposait de la même manière d’une trentaine d’hectares qu’il possède encore dans le voisinage, il y trouverait de quoi payer la nouvelle ligne fortifiée, et il n’en faudrait pas davantage pour déterminer la fondation d’ateliers de construction de machines et de bâtimens à vapeur. Ces ateliers en attireraient d’autres, et la Bretagne posséderait cette ville industrieuse dont Vauban voulait la doter.

Le port de Saint-Malo donne en ce moment deux exemples opposés, mais également instructifs. D’un côté, une industrie emmaillottée dans les servitudes militaires montre la puissance de l’intelligence unie à la volonté ; de l’autre, les ruines amoncelées par l’administration des travaux publics mettent en relief la stérilité des plus grands capitaux, quand l’ineptie et la présomption en disposent. De 1836 à 1841, des crédits montant à 6,100,000 francs ont été ouverts au ministère des travaux publics pour la conversion du port d’échouage en bassin à flot[1] : à ce prix, un môle curviligne de 220 mètres fondé sur les Roches-Noires a protégé l’avant-port ; le massif du Nays s’est avancé pour appuyer une double écluse, et 1, 560 mètres de quais en pierre de taille se sont allongés sur les grèves de Saint-Malo et de Saint-Servan. Ces beaux ouvrages se terminaient lorsqu’un jour, obéissant à un coup de barre malencontreux, un côtre d’une quarantaine de tonneaux les heurta du bossoir : le côtre se crut enfoncé ; ce fut le quai qui croula, et l’ingénieur du port verbalisa sévèrement contre ce manque de respect pour la solidité de son ouvrage. Par malheur, le reste des quais, l’écluse elle-même s’affaissèrent bientôt, sans que le choc du moindre canot donnât prétexte à procès-verbal. On vit alors que, s’il fallait s’étonner de quelque chose, c’était de ce que ces constructions fussent restées debout le temps de les élever : une partie des quais n’était fondée que sur la vase durcie ; les prétendus mortiers hydrauliques se

  1. Lois des 6 juin 1836, 19 juillet 1837, 11 et 25 juin 1841.