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plutôt qu’à notre état social actuel. Jadis capitale d’une province fière avec raison de ses vieilles libertés, la ville de Rennes est une de celles qui ont le plus perdu à la révolution : toutes les institutions dont elle était le siège se sont amoindries ; le parlement y est remplacé par une cour d’appel, l’intendance de la province par une préfecture de département, le gouvernement par un état-major de division, les états de Bretagne par le conseil-général d’Ille-et-Vilaine. Nées des événemens historiques, des intérêts les plus vivaces, des passions les plus énergiques du pays, les anciennes institutions avaient leurs racines dans le cœur de la société bretonne, et y puisaient une sève pleine de vigueur et d’originalité. Celles d’aujourd’hui procèdent d’une source plus éloignée et arrivent toutes faites par le Moniteur. La vie politique de la province n’a plus d’aliment qui lui soit propre ; la province elle-même n’est plus constituée, elle n’a pas même de nom officiel, et, comme quatre-vingt-quatre autres chefs-lieux de département. Rennes n’est plus qu’un satellite de Paris. Est-ce un bien ? est-ce un mal ? Ce n’est pas ce qu’il s’agit ici d’examiner : il suffit de constater un état de choses dont l’aspect même de la ville porte l’empreinte. Ses palais, ses vastes places symétriques, ses promenades majestueuses, rappellent le parlement, les états, conservent un écho lointain des querelles de la magistrature, des jésuites, du duc d’Aiguillon, de M. de La Chalotais, et font penser involontairement à ces manoirs féodaux qui n’ont plus pour hôtes que des marchands retirés des affaires. Les mœurs se modifient moins vite que ne marchent les événemens ; l’habitude des émotions de la place publique ne se transforme pas aisément en assiduité à de prosaïques travaux, et les dispositions des races survivent aux générations éteintes. Il n’est donc pas étonnant que l’industrie semble ici dépaysée, et que l’ouverture d’une voie navigable de Rennes à la mer ait été d’un médiocre effet sur une population si peu préparée à l’exploiter.

Des causes de cette disposition, la plus immédiate, oserai-je le dire ? est peut-être la charitable bonté du caractère breton. Aucune de nos villes n’a des bureaux de bienfaisance plus largement dotés que Rennes, et la charité privée n’est nulle part plus active. Indépendamment des hôpitaux ouverts aux malades, les hospices de vieillards y reçoivent le cinquante-huitième de la population normale[1]. La perspective des secours gratuits a partout pour effet d’écarter le souci de l’avenir, de faire dédaigner le travail et l’économie ; elle devient toujours une prime à l’incurie, souvent au vice ; elle provoque par là plus de misères qu’elle n’en soulage, et les sacrifices d’une bienfaisance

  1. Pour 33,232 habitans, les hospices de Rennes contiennent 574 lits de vieillards. Besançon, ville de 33,788 âmes, n’offre que 74 lits. Le territoire est très loin de valoir celui des environs de Rennes, et la misère y est incomparablement moindre.