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Ceux qui combattaient aux côtés du duc sont unanimes, dans des lettres écrites au soleil de l’action, sur sa bravoure et son énergie ; leurs témoignages restent enfouis dans la poussière des archives, et l’on ne se souvient que du propos d’un docteur en droit qui était à vingt-cinq lieues du combat ! Telle est toujours la justice des partis, et quelquefois celle de la postérité.

L’expédition de Saint-Cast offre un double exemple de la facilité des débarquemens et du danger des rembarquemens : les uns s’opèrent presque toujours par surprise, sans trouver de résistance organisée ; les autres se font sous une pression redoutable et ne peuvent pas éviter cet instant critique que sut saisir le duc d’Aiguillon, où les forces divisées sont en partie à bord, en partie à terre. Dans le cas particulier, il est impossible de découvrir un but raisonnable à la marche des Anglais de Saint-Briac à Saint-Cast ; mais il l’est aussi de disconvenir que si, au lieu de prendre à droite, ils eussent pris à gauche et se fussent solidement établis entre Saint-Briac et la Rance, comme ils semblèrent un moment l’avoir résolu, ils auraient eu le temps d’incendier Saint-Malo de la pointe de Dinard, de couler les bâtimens qui formaient notre ligne d’embossage dans la Rance, et de se retirer sans laisser à nos troupes aucun des avantages du champ de bataille de Saint-Cast. C’est sans doute un malheur de ce genre que voulait prévenir Vauban, « Il croit, écrivait M. de Pontchartrain au roi après l’expédition de 1693, qu’il faudrait occuper la pointe de Dinard par un fort, après quoi les descentes de ce côté ne serviraient plus de rien aux ennemis[1]. » Vauban revint en 1700 sur la nécessité de cette construction pour assurer la rade de la Rance et empêcher que de cette pointe on puisse bombarder Saint-Malo, qui n’en est éloigné que de 800 toises. Au lieu d’un fort, on n’y a encore établi qu’une méchante batterie, sans aucune défense du côté de terre. La pointe forme une presqu’île granitique élevée, réunie à la terre ferme par un isthme étroit et bas ; la nature a fait les trois quarts du travail. L’exécution du projet de Vauban rendrait la rade inattaquable, et notre côte n’est pas assez riche en abris pour qu’il nous soit permis d’en négliger un semblable, à nous qui avons à compter avec la marine à vapeur.

La ville de Saint-Malo possède peu de documens sur l’histoire de son commerce et l’étendue de ses anciennes forces navales. Au temps où ce commerce était le plus prospère, le secret des opérations était considéré comme la condition essentielle du succès, et à peine étaient-elles accomplies, qu’on s’appliquait à en effacer les traces ; mais, pour juger de la puissance d’un établissement maritime, il suffit du souvenir des entreprises par lesquelles il s’est signalé. Quand un port fait

  1. Lettre du 18 août 1694.