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leurs chemises. C’étaient les soldats de Boulonais qui les avaient mis en cet état. On se souvient des trois hommes de ce régiment que le duc de Marlborough avait emmenés de Cancale ; ils avaient été promenés dans les rues de Londres, et exposés aux risées de la populace ; leurs camarades, l’ayant su, s’étaient juré de venger l’affront fait à leur uniforme. Leur manière de tenir leur serment provoqua dans les rangs de l’armée force éclats de grosse gaieté, et, comme tous les effets enlevés avaient été mis en pièces, que les bagages étaient éloignés, l’empressement de nos officiers à se dépouiller pour réparer le désordre de la toilette des officiers anglais, qui d’un manteau, qui d’une veste, qui d’un vêtement encore plus nécessaire, ne laissa pas de produire d’assez risibles accoutremens. Le duc d’Aiguillon fit remettre aux prisonniers déshabillés tout l’argent qu’ils souhaitèrent ; mais, quand l’amiral anglais lui fit demander quelques officiers de distinction, en tête desquels était lord Cavendish, il refusa, et, rappelant les trois soldats de Cancale, il ajouta qu’il était juste que les officiers anglais fissent à leur tour une promenade en France, pendant laquelle ils seraient du reste traités avec les égards dus à leur courage. La flotte anglaise garda son mouillage le 12 et le 13; elle appareilla le 14, et mit le cap sur Jersey. On la croyait pour quelque temps dégoûtée des descentes, et nos troupes n’avaient pas attendu son départ pour regagner leurs cantonnemens.

L’importance du succès obtenu sur la plage de Saint-Cast fut fort enflée dans les publications contemporaines : on poussa l’envie de glorifier certains corps ou certaines personnes jusqu’à porter sur des plans inexacts du terrain des faits matériellement impossibles. J’ai cherché la simple vérité dans des documens originaux, où l’on n’avait à flatter ni à tromper personne ; elle suffit sans doute à la gloire de ceux qui préparèrent et accomplirent l’action. J’ai eu plaisir, à cause d’une vieille calomnie qui s’est attachée, à l’occasion même de ce combat, au nom du duc d’Aiguillon, à montrer comment il fit son devoir de général et de soldat. La première fois que je suis passé devant l’anse de Saint-Cast, les matelots n’ont pas manqué de me faire saluer ce cimetière d’Anglais, et ils m’ont raconté que, pendant qu’on s’y battait, le général Guillon s’était caché dans un moulin. Cette croyance populaire est l’écho d’un propos bas et envieux dont on fit dans le temps honneur à l’esprit de M. de La Chalotais. Le duc d’Aiguillon monta-t-il, pour mieux reconnaître la position de l’ennemi, dans un des moulins à vent qui dominent encore le champ de bataille ? S’il le fit, il fit bien. M. de La Chalotais, dénaturant un acte si simple, ajouta qu’à Saint-Cast, le duc s’était couvert, non de gloire, mais de farine. Le mot fit fortune : les ennemis du duc, et il en avait beaucoup, colportèrent cette sottise, et des écrivains qui se piquent d’être sérieux la répètent encore aujourd’hui.