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l’opinion de Napoléon que les machines, les bombardemens même, sont comptés pour rien en temps de guerre[1].

L’attaque dirigée contre Saint-Malo avait mis en relief l’énergie de la province en même temps que l’incurie du gouvernement ; lorsque les Anglais se retirèrent, toute la Bretagne était levée pour les repousser. Le duc de Chaulnes ne se contenta pas de constater ce double effet ; s’accusant le premier d’imprévoyance, il accepta comme une leçon la surprise dont le pays avait failli être victime, reproduisit les projets de Vauban pour la construction de forts battant les mouillages à portée de Saint-Malo, surtout de celui de la Conchée, et en demanda instamment l’exécution[2] ; mais ses plaisanteries au gouverneur de Jersey n’empêchèrent pas la machine infernale de Saint-Malo d’être prise fort au sérieux par le parlement britannique, qui le prouva en votant des fonds pour la continuation de ce beau système. En effet, le 14 juillet 1695, l’amiral Berkeley parut dans le nord de Saint-Malo avec 21 vaisseaux de ligne, 3 frégates, 9 brûlots et 17 galiotes à bombes ou bâtimens de flottille. Cette escadre portait 6,834 hommes et 1,416 bouches à feu[3]. Cette fois il fallut compter avec le fort de la Conchée ; sans être achevé, il était en état de défense ; il fut canonné, bombardé ; trois machines dirigées contre lui éclatèrent à peu de distance ; il répondit vigoureusement à ces attaques et fut moins maltraité que son intrépide commandant, le chevalier de la Marquerie, car la garde-robe et le mobilier de celui-ci furent mis en pièces par une bombe, et il n’en coûta pas 600 fr. Pour réparer le fort. 1,500 bombes furent lancées de la Passe-aux-Normands sur Saint-Malo : cinq maisons furent brûlées, et M. de Nointel, intendant de Bretagne, demanda 130, 000 livres pour réparer tous les dommages causés. Les Anglais eurent une galiote à bombe coulée et deux vaisseaux fort endommagés.

Absorbé par d’autres soins, Vauban ne revint à Saint-Malo qu’en 1700, et fit alors un projet complet de défense du côté de la mer et de celui de la terre. Des travaux qu’il proposait contre les attaques par mer, il ne manque aujourd’hui que le château qu’il voulait construire sur la pointe de Dinard, de manière à battre par des feux croisés toute l’étendue de la rade. « Toutes ces pièces bâties et achevées, dit-il, avec la perfection requise et munies après de tout ce qui fera besoin, Saint-Malo pourra se moquer de toutes les attaques de l’ennemi du côté de la mer. » En effet, les forts dressés au milieu des flots rejettent la ligne de bombardement à une trop grande distance pour que la ville puisse

  1. Lettre de Napoléon du 9 septembre 1809 au ministre de la marine.
  2. Archives de la guerre. Lettres du duc de Chaulnes des 4, 13, 27 décembre 1693 et 24 janvier 1694.
  3. Les revues et l’état du matériel furent trouvés sur un aviso que l’amiral Berkeley envoyait à Plymouth et qui fut pris et conduit à Morlaix par deux corsaires malouins.