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tintamarre le plus horrible, semblable à un coup le plus épouvantable de tonnerre. Partout il tomba une grêle de clous, de chevilles de fer, de câbles, de bois de navires ; tout trembla ; chacun crut sa maison écroulée ; chacun chercha dans son logis en quel endroit était tombée une bombe ; la grande porte de l’église, mise en morceaux, arracha ses gonds et les pierres qui les tenaient… On ressentit la commotion à Châteauneuf et à Ploubalay (12 kilomètres de distance)….. C’était la machine anglaise qui éclatait ; elle était dirigée vers la tour de la poudrière ; mais le vent tourna, et la Providence, prenant en main le gouvernail, fit échouer le brûlot sur la roche Malo ; il s’y creva, se renversa sur le côté ; une grande partie des poudres se mouilla ; le reste produisit son principal effet sur le fond de la mer. Le brûlot était grand comme un vaisseau à trois ponts et ne tirait que sept pieds d’eau : ayant éclaté plus tôt qu’on ne comptait, il ne fit périr que ses conducteurs[1]. » Le duc de Chaulnes eut sa part de l’explosion ; la toiture de la maison voisine du rempart où il logeait fut enlevée, les planchers furent décarrelés connue par le tonnerre. « Ce que nous découvrîmes hier, écrivait-il, fut que les deux tiers de la ville furent ébranlés et que toutes les rues lurent en un moment pleines de tuiles et d’ardoises. Des officiers de marine, qui venaient dans des chaloupes, firent mettre les soldats sur le ventre par tout ce qu’ils entendaient tomber sur la mer. L’effet qui me paraît le plus surprenant fut que tous les remparts furent couverts d’eau de la mer qui coula plus d’une heure comme d’un grand orage. La mer s’étant retirée vers les dix heures ce matin, j’ai été avec M. de Châteaurenaud, tous les officiers de marine et M. l’intendant sur le sable ; nous avons trouvé un reste du vaisseau qui a sauté. On a déjà compté deux cent trente bombes qui n’ont point agi[2]… »

« Un corsaire de Saint-Malo ayant pris douze ou quinze Anglais, je n’ai cru pouvoir mieux faire que de les renvoyer aujourd’hui, après les avoir fait promener sur l’estran, où ils ont vu les corps de ceux qui ont exécuté l’entreprise. Ils ont aussi vu le grand nombre de leurs bombes toutes chargées et pas une seule maison brûlée. J’écris au gouverneur de Jersey et lui en fais une plaisanterie[3]. »

La machine infernale de 1693 a fait beaucoup de bruit dans le monde. Ce fut le premier emploi d’une arme pour laquelle les Anglais ont eu long-temps une prédilection marquée, et l’on a rarement traité de ces sortes de machines de guerre sans la citer. Les témoignages des spectateurs île l’explosion sont donc bons à recueillir, et s’ils prouvent qu’elle fit un peu plus que de causer des vitres, ils ne contredisent pas

  1. Manuscrit de la bibliothèque de Saint-Malo.
  2. Archives de la guerre. Lettre du duc de Chaulnes du 1er  décembre 1693.
  3. Ibid. Lettre du 2 décembre.