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« Khlestakof, s’enhardissant. — Le ministre me connaît… Je n’irai pas !… Non, parbleu ! vous ne me faites pas peur avec votre gouvernement.

« Le gouverneur. — De grâce, monsieur, ne me perdez pas ! J’ai une femme et des enfans !

« Khlestakof. — Je m’en moque pas mal ! Voyez la belle raison : parce qu’il a une femme et des enfans, il faut que j’aille en prison !

« Le gouverneur. — Manque d’expérience de ma part, monsieur, voilà tout. Et la place rapporte si peu ! Les appointemens ne paient pas le thé et le sucre. Les profits, s’il y en a, vraies misères ! de petits cadeaux pour la table, et une couple d’habits… Quant à la soi-disant femme de sous-officier qui faisait le commerce, et que j’aurais fait fouetter, c’est une calomnie ! Devant Dieu, monsieur, c’est une calomnie ! C’est une invention de mes ennemis, qui ne respirent que ma perte.

« Khlestakof, étonné. — Je ne sais pas pourquoi vous me parlez de vos ennemis et de la femme de ce sous-officier. Je ne la connais pas, je ne me soucie pas de ses affaires ; mais vous ne vous aviseriez pas apparemment de me faire fouetter, moi… hein ?… Je paierai plus tard… quand j’aurai de l’argent. Maintenant je n’en ai pas ; je me trouve par hasard sans un kopek.

« Le gouverneur. — Si vous aviez besoin d’argent comme de toute autre chose, veuillez disposer de moi, monsieur… Mon devoir est d’aider les voyageurs.

« Khlestakof, — Vous auriez l’obligeance de m’en prêter ?… je vous le rendrai tout de suite. Il ne me faudrait que deux cents roubles pour payer l’hôtel et retourner chez moi. Une fois chez moi, je vous renverrai aussitôt votre argent.

« Le gouverneur, lui donnant des billets. — Mon Dieu, monsieur, je suis trop heureux de pouvoir Vous les offrir. Voici deux cents roubles ; ne prenez pas la peine de les compter.

« Khlestakof. — Mille remerciemens….. Je vois que vous êtes un galant homme. Je m’en étais toujours douté.

« Le gouverneur. — Loué soit Dieu ! il prend l’argent. Nous allons être bien ensemble ! Au lieu de deux cents roubles, je lui en ai donné quatre cents. »

Le gouverneur invite Khlestakof à venir loger chez lui, et, en attendant qu’on transporte son bagage, à visiter quelques établissemens publics. Respectant l’incognito de l’inspecteur-général, il affecte de ne le traiter que comme un étranger de distinction. Au troisième acte, nous nous retrouvons dans la maison du gouverneur, dont la femme et la fille en grande toilette attendent avec une impatiente curiosité l’hôte illustre qui leur est annoncé. Il arrive, escorté de tous les employés de la ville, après un dîner magnifique que vient de lui donner le directeur de l’hospice, Khlestakof, en pointe de vin, enchanté de l’accueil qu’on lui fait et qu’il attribue à sa bonne mine, fait l’aimable avec madame la gouvernante, et, pour achever d’éblouir ces bons provinciaux, il leur parle de la vie qu’on mène à Pétersbourg et de la figure qu’il y fait. De hâblerie en hâblerie, s’échauffant par ses propres