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au sérieux qu’on n’aurait pu croire, et y attachèrent une importance que peut-être l’iman n’y attachait pas lui-même. Ils lui défendirent de se donner ces airs belliqueux, et, au lieu de rire de sa frégate, aussi inoffensive que prétentieuse, ils lui intimèrent d’avoir sans délai à débarquer son artillerie et ses munitions. Le pauvre seïd-seïd, qui est d’ailleurs le très humble serviteur du gouverneur-général des Indes, ne se l’est pas fait dire deux fois; sa frégate n’était plus, quand je la vis, qu’un humble trois-mâts marchand.

Pour ce qui est de la Perse, on conçoit très bien que les deux provinces de Fars et d’Arabistân soient un objet de convoitise pour l’Angleterre. Ces provinces sont riches, leur sol est fertile, bien arrosé, et les productions en sont semblables à celles des Indes; l’indigo, le colon et la canne à sucre y viennent facilement. De plus, ce vaste territoire est habité par des populations qui, sous différens noms et grâce à une divergence d’opinions religieuses, supportent impatiemment le joug des rois de Perse, et sont même assez ordinairement en état de rébellion. L’insurrection est l’état normal de l’Arabistân ou du Khouzistân, dont les parties montagneuses sont peuplées par les tribus indomptables des Lours, des Bactyaris et des Mamacenis. Dans le Fars sont les nombreuses tribus militaires des Karatchâders, qui sont à peu près indépendantes et ne reconnaissent d’autre autorité que celle de leurs khâns. Le châh les cajole plutôt qu’il ne les contient; il sait qu’il ne peut se fier à elles, et il est obligé de retenir à sa cour leur chef pour ainsi dire prisonnier, ou tout au moins comme otage. Cette population nomade peut donc échapper au roi de Perse et passer d’un camp dans l’autre. Cependant, à l’époque où je me trouvais à Bouchir, elle demeurait dévouée au châh, et cette grande famille Zend, d’où sont sortis les fondateurs de la monarchie persane, paraissait devoir rester fidèle au drapeau national; mais cette fidélité tient à un fil, et l’histoire de Perse a plus d’une fois prouvé combien il est aisé de le rompre.

Dans l’Arabistân, il y a une autre population mixte sur laquelle les Anglais peuvent agir avec plus de facilité, en raison de son origine, de sa nationalité et de sa religion : ce sont les Arabes établis dans tout le pays situé entre la mer et le pied des montagnes. Ces Arabes tiennent peu au châh de Perse; ils sont sunnites pour la plupart, et par conséquent ennemis jurés des Persans, qui sont chiites. Tous ces élémens, sans homogénéité entre eux, sans adhérence même avec la nation persane et hostiles à son gouvernement, sont autant de bases d’opération précieuses pour les agens de l’Angleterre. Une fois ce pays conquis, l’Angleterre étendra son autorité de Bombay à Bagdad, et plus tard peut-être de Hong-Kong à Beyrouth. Les tentatives qu’elle a faites sur les deux rives du Tigre et jusque dans les eaux de l’Euphrate