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Les Anglais occupent dans le golfe Persique une position qui, après avoir appartenu tour à tour à la Hollande et au Danemark, avait attiré un moment l’attention de la France : c’est l’île de Karak, dont nous avons déjà parlé. La guerre qui éclata dans l’Inde vers la fin du XVIIIe siècle nous fit perdre de vue cette position, qui, d’abord oubliée, finit par tomber dans les mains des Anglais. En 1808, le général Gardanne fit revivre les droits de la France sur cette île, et Feth-Ali-Châh reconnut la légitimité de sa réclamation; mais la cession de l’île à la France resta purement nominale, et l’Angleterre n’eut point de peine à s’assurer la possession de Karak comme prix des bons offices que, par l’organe de sir John Malcolm, elle promettait à la Perse. Aujourd’hui les Anglais ne souffrent dans ces parages aucune concurrence; tout pavillon leur porte ombrage. Le commerce de ces pays n’a pas une importance assez grande pour que les navires anglais se l’approprient et soient attirés dans cette impasse maritime; mais, afin que le pavillon britannique n’en domine pas moins sur toutes ces côtes, ils ont persuadé aux armateurs ou aux négocians arabes de l’arborer. C’est ainsi que l’on voit de modestes bagalos, de pauvres battils, montés par des équipages arabes, faire flotter à leurs mâts les couleurs anglaises. Les propriétaires de ces bâtimens ou des marchandises ainsi abritées se prêtent d’autant plus volontiers à arborer ces couleurs, qu’elles sont pour eux une sûre garantie contre des actes de piraterie ou l’exercice vexatoire de droits de douane, dont ils auraient souvent à gémir sous le pavillon national. On conçoit quelle doit être l’influence de ce protectorat, qui, avec tous les dehors d’une courtoisie désintéressée, habitue les populations de ces rivages à voir presque uniquement et à respecter, à l’exclusion de tous autres, le pavillon anglais.

J’ai dit que les Anglais ne souffraient aucune concurrence sur les côtes du golfe Persique : voici un exemple de cette défiance excessive, qui, vis-à-vis des faibles surtout, se traduit souvent par des violences déplorables. Il y avait en vue de Bouchir un trois-mâts à l’ancre. Je demandai ce que c’était. Il me fut raconté, par des Arméniens tout dévoués à l’Angleterre, que ce bâtiment appartenait à l’iman de Mascate. Cet iman est une sorte de petit sultan auquel on donne aussi le titre de seïd-seïd, c’est-à-dire descendant par excellence de Mahomet. Ses possessions, qui sont sur la côte orientale d’Afrique, à l’embouchure du golfe Persique, constituent un petit état maritime qui a une certaine importance. Ce prince eut la fantaisie, par pure gloriole, d’avoir une frégate armée de quelques canons. C’était un de ces caprices, un de ces enfantillages familiers aux petits souverains d’Orient, qui croient ainsi donner du relief à leur chétive puissance et se grandir même aux yeux des Européens. Il paraît que les Anglais prirent la chose plus