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du Guermsir[1] et se retirent vers les montagnes, où quelques branches de palmier et des feuilles tressées forment leurs cabanes. Notre séjour à Hamadi ne fut point assez long pour que nous pussions apprécier avec certitude le caractère de cette population étrangère au sol de la Perse. Néanmoins les impressions que je reçus de ces Arabes furent telles que je pus distinguer en eux une nature très différente de celle des Persans. Ils me parurent être beaucoup plus indépendans, plus fiers et aussi plus généreux dans leur hospitalité que leurs voisins, et, à la manière dont ils s’exprimaient sur les troubles qui agitaient le pays autour d’eux, on sentait qu’ils ne faisaient cause commune avec personne et restaient neutres entre les deux partis. La faible agitation qu’on remarquait parmi eux n’avait d’autre cause que l’inquiétude où ils étaient pour leurs troupeaux et leurs autres biens ; elle ne trahissait aucune préférence ni aucune opinion politique. Ce rivage persique demeura long-temps, sous le nom de Dachistân ou Arabistân, dans un état d’indépendance complète vis-à-vis du châh. Aujourd’hui encore, le gouverneur de Bender-Bouchir est Arabe, et la majeure partie des villages de même nation obéissent exclusivement à leurs cheiks, ceux-ci se considérant plutôt comme vassaux et feudataires du roi de Perse que comme ses sujets. Cette population arabe a d’ailleurs considérablement diminué.

Nous quittâmes Hamadi au jour. Sept farsaks nous séparaient encore de Bouchir, et nous désirions y entrer de bonne heure. Nous marchions sur une plaine de sable basse, couverte de sel et marécageuse. À notre droite surtout, à l’ouest, d’immenses marécages s’étendaient jusqu’à la mer ; ils produisaient, par leur évaporation, un mirage singulier au-dessus duquel nous croyions voir une foule de mâts et de navires. Le sol, quoique plus solide sur notre gauche, était çà et là submergé. Nous marchions avec précaution sur un étroit chemin, où, bien que le sable fût plus ferme et plus sec, on n’en sentait pas moins, par intervalles, que les eaux s’infiltraient à une certaine profondeur. Aussi arrivait-il parfois que nos montures s’y enfonçaient jusqu’à mi-jambes. Toute cette région basse et envahie par les eaux de la mer, pénétrant à travers les sables, était couverte de bandes innombrables d’oiseaux aquatiques et de perdrix du désert, qu’on appelle fohouï. Celles-ci se réunissent quelquefois par milliers ; elles s’élèvent très haut, et, quand on les voit venir de loin, on dirait un nuage. Longtemps avant d’atteindre Bouchir, le mirage nous faisait croire à la proximité de la ville. Cet effet d’optique grandissait démesurément tous les objets, en les rapprochant d’une façon surprenante. De petites barques, qui étaient dans le port, prenaient les dimensions de vais-

  1. Littéralement pays de la chaleur.