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chir, où nous espérions trouver, non pas des lettres, mais au moins des gazettes venues de Bombay. Nous quittâmes Dallaki de grand matin, afin d’avancer. Nous pensions nous arrêter au village de Bourazdjoùn, qui est distant de Dallaki de cinq heures, et faire le lendemain une forte journée pour arriver à Bouchir ; mais, en approchant de Bourazdjoùn, nous aperçûmes toute la population qui avait pris les armes et paraissait se préparer à une attaque contre un ennemi attendu. D’aussi loin qu’elles nous virent, les vedettes nous signalèrent, et à l’instant un petit groupe d’hommes armés s’avança vers nous avec toutes les précautions usitées en guerre. Ce ne fut pas sans quelque peine que nous parvînmes à nous faire reconnaître pour des Frenguis voyageant et demandant l’hospitalité. Quand on eut acquis la conviction que nous n’étions ni des ennemis, ni des émissaires envoyés par eux, on nous conduisit au hakim ou chef du village, qui nous reçut avec la préoccupation d’un homme qu’un danger menace, et qui a bien à penser à autre chose, vraiment, qu’à exercer l’hospitalité envers des chrétiens. Cependant il nous fit donner un logement, mais un logement inacceptable. Tout était en rumeur autour de nous ; nous n’entrevoyions pas la possibilité d’être là commodément ; nous pouvions nous trouver au milieu d’une bagarre, et, vainqueur ou vaincu, ce village ne nous inspirait pas de confiance. Le soleil était encore bien haut, et nous résolûmes d’aller chercher fortune plus loin.

Je cheminais tout en cherchant à deviner la cause de l’insurrection que je voyais grandir autour de nous, et j’y réfléchissais tristement, en rapprochant ce que je voyais de tout ce que je savais : dissentiment profond entre la cour de Téhéran et les diplomates anglais ; exclusion de la légation britannique du territoire persan ; vœux contraires à la politique anglaise manifestés ouvertement par les Persans à l’occasion de la guerre de Syrie ; entrée, malgré l’opposition des autorités persanes, d’un agent anglais dans le Loristân et chez les Bactyaris ; double coïncidence de cet événement avec la révolte du khân de Bebahân, ville lori, et les troubles du district de Bouchir ; enfin, pour complément, apparition de forces anglaises à Karak et sur tout le littoral persique. Nous distinguâmes bientôt le village d’Hamadi, où nous devions demander un gîte. Bien qu’il y eût là un peu de la fermentation que nous avions laissée derrière nous, cependant la population, qui est arabe, en paraissait beaucoup plus calme.

Toute cette contrée, en remontant vers Bassorah, est peuplée en grande partie de tribus arabes qui s’y mêlent aux Persans. Les Arabes conservent en Perse leurs coutumes, leurs mœurs nomades ; ils parlent le farsi aussi bien que leur propre langue, et sont en partie sunnites, en partie chiites. Ils possèdent des villages, sans être pour cela sédentaires. Quand vient la saison chaude, ils abandonnent les sables brûlés