Nous apprîmes là que toutes les populations de la plaine étaient en grande rumeur et se battaient entre elles. J’eus beaucoup de peine à distinguer la véritable cause de ces troubles. Tout ce que je pus comprendre, c’est qu’un conflit armé venait d’éclater entre un khân rebelle et celui qui commandait ce district au nom du châh. Les villages s’étaient partagés, les uns tenant pour le roi de Perse, les autres prêtant appui aux révoltés. Au fond de tout cela, et sous le voile de ces discussions entre nationaux, il me sembla qu’il se cachait quelque complot politique ourdi par des agens étrangers au pays. Je m’étais déjà aperçu que, dans cette partie de la Perse, il y avait une sourde fermentation. Les événemens de Syrie, annoncés dans ces régions éloignées, y avaient été racontés, grossis, dénaturés, comme le sont inévitablement tous les faits colportés au loin de bouche en bouche. Les gens de la plus mince apparence parlaient de ces événemens et s’en préoccupaient. Cela tenait à plusieurs causes : d’abord à la sympathie que les Persans avaient pour le pacha d’Égypte ; ils savaient que Méhémet-Ali était hostile aux Turcs, il ne leur en fallait pas davantage pour qu’ils prissent le parti du vice-roi contre leurs éternels ennemis, ils faisaient des vœux pour que le pacha fût victorieux, et son inutile résistance dans le mont Liban était commentée de mille manières. Une autre cause de l’intérêt que les Persans portaient à ce qui se passait de l’autre côté du désert, c’était leur antipathie pour les Anglais, qu’ils savaient engagés dans cette lutte. L’Angleterre, principalement sur les côtes du golfe Persique, a toujours agi de façon à s’attirer la haine des populations. Savoir qu’elle prenait parti pour le sultan contre le pacha, qu’elle soutenait les Turcs contre les Égyptiens, c’était, aux yeux des Persans, un nouveau grief ajouté à tant d’autres qu’ils n’avaient point oubliés. Tous les bruits qui couraient sur les événemens de Syrie venaient de Bagdad ou de Bombay par Bender-Bouchir. Aussi les caravanes parties de ce port étaient-elles interrogées avec anxiété dans tous les villages qu’elles traversaient. Au caravansérail de Dallaki, où nous étions, un Persan nous affirma qu’un courrier était venu du Kaire pour solliciter le châh, de la part de Méhémet-Ali, de faire alliance avec lui et d’attaquer la Turquie. Rien ne pouvait plaire davantage aux Persans. Leur patriotisme s’enflammait à l’idée de guerroyer contre les Turcs, leur fanatisme s’exaltait au cri de : Guerre aux sunnites ! et ils répétaient : Maudits soient Aboubekhr et Omar !
Toutes ces nouvelles, ou, pour mieux dire, tous ces bruits nous jetaient dans une grande anxiété, car, tout en faisant la part des exagérations, nous en savions assez pour comprendre la gravité que pouvait avoir cette guerre. Il y avait déjà bien long-temps que nous étions privés de lettres et de journaux de France ; nos nouvelles les plus fraîches remontaient à plus de six mois. Nous avions hâte d’atteindre Bou-