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voir sur les visages de ces malheureux les horribles souffrances que la douleur et la faim leur faisaient endurer. J’y trouvai encore quelques débris de crânes et quelques lambeaux de vêtemens. Le voyageur peu fait à ces sortes de spectacles frémit en faisant le tour de ce monument de la justice exemplaire du meuthamèt. Le guide qui m’avait conduit à la tour des Mamacenis me dit que deux de leurs chefs avaient péri d’une façon non moins barbare, mais plus expéditive : l’un avait été attaché à la gueule d’un canon, l’autre avait été fendu en deux, et chaque portion de son cadavre resta accrochée au-dessus de la porte de la ville pour servir d’exemple.

II.


En quittant Chiraz, nous nous dirigeâmes vers le golfe Persique et Bender-Bouchir. Cette dernière période de notre voyage s’ouvrit par plusieurs jours de marches fatigantes, dans des chemins difficiles et à travers de hautes montagnes ; enfin nous vîmes le sol s’aplanir un peu. Nous allions sortir des gorges sauvages et presque impraticables qu’il nous avait fallu franchir, et nous n’avions plus qu’une étape à faire avant de descendre dans la plaine vaste et unie que baigne la mer du côté du sud. Au moment de quitter un caravansérail où nous avions passé la nuit en compagnie d’une grande caravane d’esclaves noirs qu’un marchand ramenait de Bouchir, un incident nous donna la mesure des préjugés fanatiques des habitans de la contrée. Je réglais avec le pourvoyeur du caravansérail le compte de la dépense que nous y avions faite. — Entre autres choses qu’il nous avait fournies, figuraient quelques dattes qu’il avait apportées lui-même dans une espèce de grande jatte en cuivre. Nous avions pris quelques-unes de ces dattes, et, ne les trouvant pas de bonne qualité, nous les avions laissées presque toutes. En payant notre écot, je voulus déduire ce qui restait ; mais le pourvoyeur me fit observer qu’il ne pouvait les reprendre, parce que nous y avions touché. — Très étonné, et, je le dirai, peu habitué à cette impertinence musulmane, je feignis de ne pas le comprendre et je lui demandai l’explication de son refus. Il me répéta imperturbablement qu’un musulman ne pouvait manger ce qu’un chrétien avait souillé par son contact impur… C’était clair. Ce colloque avait rassemble autour de nous tous les gens de la caravane qui étaient dans le caravansérail. Le pourvoyeur était fort sale ; je tirai mon gant, et, montrant ma main à tout le monde, je dis : « Tu prétends que j’ai souillé les dattes en y touchant ; dis-moi lequel de nous deux a la main la plus propre. » Quelques-uns des assistant sourirent, mais d’autres froncèrent le sourcil. « Puisque tu ne veux pas reprendre ces dattes, ajoutai-je, sous prétexte que j’y ai touché, je vais te les payer ; mais, comme mon