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tions qu’on a faites de leurs poésies, leur gloire n’est pas étrangère à notre pays. La sépulture de Saadi est située à la base des montagnes qui dominent la ville ; on y arrive par un chemin triste et aride. Près d’un petit village qui porte le nom du philosophe, on trouve une espèce de villa solitaire que le silence entoure et dont la porte est close. On frappe ; un gardien vient ouvrir, et, vous faisant traverser un jardin où les ronces ont remplacé les fleurs, il vous montre, en disant : « Cheik Saadi !… » une arcade ouverte sous laquelle se voit un tombeau de marbre qui n’a d’autre ornement que quelques-unes des strophes les plus célèbres du poète. Ce simple monument n’est protégé que par la vénération des admirateurs de Saadi, qui, sans doute pour lui rendre hommage, ont couvert les murs de vers écrits par eux avec un kalâm (plume) ou la pointe d’un poignard. Si la gloire de l’auteur du Gulistân est durable, il n’en est pas de même du marbre de sa tombe. Exposé à toutes les intempéries comme à toutes les profanations, ce monument funéraire, déjà dégradé, ne sera bientôt plus qu’une ruine. Il parait néanmoins que ce n’est que depuis peu que la vénération pour le tombeau de Saadi a décliné au point d’en faire craindre la destruction, car d’anciens voyageurs avaient dû faire soulever, pour le voir, un étui de bois noir doré qui le recouvrait entièrement. Près du monument consacré à Saadi est une source d’eau limpide à laquelle les habitans de Chiraz attribuent une grande vertu hygiénique. Ils prétendent que, quand quelqu’un en a bu, il n’est plus jamais malade ; ce qui n’empêche pas le renouvellement d’une épidémie qui emporte chaque année un nombre considérable de personnes dans le district de Chiraz. Cette eau miraculeuse est contenue dans une espèce de puits dans lequel on descend par un escalier de plusieurs marches. Au fond est une voûte bâtie en briques reposant sur un mur octogonal qui enferme la source. Il s’y trouve des poissons que le vulgaire dit être consacrés au cheik ; à ce titre, on a pour eux le plus grand respect.

L’émule de l’austère Saadi, Hafiz l’épicurien, repose dans un jardin planté de magnifiques cyprès, de grands pins et d’orangers. Sa pierre tumulaire est une longue dalle d’albâtre oriental, gracieusement ornée d’arabesques et de caractères élégans qui retracent quelques vers du poète aimable dont les odes charment encore les Persans. Le lieu où se trouve la sépulture d’Hafiz n’a rien de l’aspect triste d’un champ funèbre ni de la sévère solitude où sont déposées les cendres de Saadi. Le jardin dont le nom, — Hafizioù, — rappelle celui du poète qui y est inhumé, était, dit-on, le lieu qu’il aimait le plus à fréquenter. On m’a assuré que la tombe de Hafiz a été placée au pied d’un cyprès planté de ses propres mains. Au milieu du jardin, où dorment aussi d’autres morts moins célèbres dont les marbres funéraires garnissent le sol, s’élève un kiosque ou divânèh qu’habite un mollah commis à la