Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/598

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ou la langue persane ; j’ajouterai qu’ils sont aussi les plus vaniteux. Leur ville a des droits incontestables à occuper un rang distingué parmi celles de l’Iran, car elle a produit les deux plus célèbres poètes de l’Asie, Hafiz et Saadi. Son vin est un des meilleurs du monde, son climat est superbe, et l’intelligence proverbiale des Chirazis est réelle ; mais il ne serait pas juste néanmoins d’accorder à cette population la supériorité qu’elle revendique parmi toutes celles de la Perse. L’industrie, qui fut si florissante à Chiraz, y est aujourd’hui en pleine décadence. Les murailles de la ville, en partie renversées par Aga-Mohamet-Khân, ne sont point relevées. Les Chirazis sentent bien que leur ville est déchue ; aussi, dans leur orgueil, disent-ils pour se consoler, avec l’emphase qui caractérise leur langage : « Quand Chiraz était Chiraz, le Kaire n’était que son faubourg. »

La population de Chiraz est aujourd’hui d’environ dix mille ames, qui se répartissent dans douze mâhallèhs ou quartiers, auxquels correspondent six portes. À peu près au milieu de la ville est l’Ark ou le palais, fortifié par une muraille crénelée ; il fut bâti par Kerim-Khân il y a un siècle. Cette enceinte est très grande, elle renferme plusieurs corps de logis dont les uns servent de résidence au gouverneur, et dont les autres sont occupés par ses serviteurs ou ses troupes. Au milieu est un vaste jardin avec des bassins où s’ouvre le divân-i-khânèh ; c’est là que le beglier-bey donne ses audiences. On y voit, sur le marbre, les portraits des héros fameux de la Perse, les images sculptées ou peintes d’Afrâziàb, de Roustâm, d’Isfundàr et d’autres guerriers renommés, qui charmaient les regards de Kerim-Khân, ce chef de bandits devenu roi. À côté de ces grandes figures, de ces pehlacân armés de pied en cap, s’ouvrent les portes secrètes du harem, où les héritiers du vaillant vekil oublient la gloire en de longues heures perdues entre le plaisir et l’oisiveté.

Si l’on excepte la portion du bazar construite par Kerim-Khân et qui conserve son nom, Chiraz n’offre en ce genre rien que de fort misérable. Les mosquées n’ont rien non plus de remarquable : elles sont bien loin de pouvoir soutenir la comparaison avec celles d’Ispahan. La plus célèbre est celle qu’on appelle Châh-Tcherak (lanterne royale, ou, si l’on veut, roi des lumières). Elle passe pour l’un des sanctuaires les plus anciens de la Perse, mais l’incertitude la plus grande règne sur son origine. Cet édifice sert de refuge à des seïds ou descendans du prophète, qui n’ont point de moyens d’existence et viennent vivre là d’aumônes ou sur les revenus de la mosquée. Les revenus, qui ne laissent pas d’être considérables, sont tirés du territoire d’un village près de Firouzabad qu’on appelle Meïmân ou hôte, sans doute à cause de la destination de ses produits.

C’est à Chiraz que Hafiz et Saadi ont vu le jour. Grâce aux traduc-