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La situation de ce pays vis-à-vis de l’Europe n’a guère changé en effet depuis cette époque ; les Anglais à l’est, les Russes au nord, le pressent toujours et l’enferment dans un cercle de plus en plus étroit. Affaiblir la Perse, l’isoler, l’annuler en la fondant peu à peu dans le vaste ensemble de leurs possessions asiatiques, tel est le plan dont ces deux puissances poursuivent l’exécution, et qui les mettra peut-être quelque jour aux prises. En attendant, la France ne trouve en Perse aucun point d’appui pour son influence. Quelles que soient pour elle les dispositions bienveillantes des Persans sincèrement dévoués à leur pays, la Russie et l’Angleterre maintiennent, par la corruption et l’intimidation, une prépondérance qu’elles garderont long-temps encore dans les conseils de la Perse. La France, qui ne sait ou ne veut point user des mêmes moyens, a nécessairement le dessous dans cette lutte à armes peu courtoises. Aussi les rares efforts qu’elle a tentés de temps à autre pour se créer en Perse une position meilleure ont-ils presque toujours abouti à de pénibles désappointemens.

La mission de l’ambassade étant terminée, son personnel se dispersa pour revenir en France. Les uns remontèrent vers le nord pour rentrer en Europe par la Russie ; les autres se dirigèrent vers le golfe Persique pour se rendre à Bagdad et dans la Syrie. L’ambassadeur, avec quelques personnes de sa suite, partit pour l’Arabistân turc. Quant à moi, demeuré seul avec mon compagnon d’étude, je repris le cours des recherches toutes spéciales qui m’amenaient en Perse. Une première exploration nous avait conduits dans l’ouest de l’Iran, au milieu des monumens de l’ancienne Ecbatane, et de là jusqu’à la frontière turque, où nous appelaient les grandes sculptures de Bisutoun et de Kermanchàh. Nous consacrâmes ensuite deux mois à l’exploration des ruines de Persépolis[1]. Ainsi en règle avec les antiquités de l’Irân, nous pûmes songer de nouveau à la Perse contemporaine, et nous primes la route de la célèbre ville de Chiraz, d’où nous devions nous diriger vers Bouchir et le golfe Persique.

La première vue de Chiraz, quand on y arrive par le nord, est charmante. Un étroit défilé, qui s’ouvre dans les lianes d’une montagne à pic et qu’on nomme Teng-Ali-Akbar ou défilé d’Ali-le-Grand, introduit le voyageur dans une vaste plaine couverte d’une riche végétation. Bientôt, au détour d’une roche, on aperçoit les minarets et les coupoles de Chiraz, qui se dessinent sur un fond de montagnes bleuâtres. Le sentier qu’on suit, et qui va en descendant, se transforme, au bas de la chaîne de montagnes qu’on vient de traverser, en une large et belle route, bordée de maisons et de jardins. Nous nous étions en-

  1. Voyez, dans les livraisons de la Revue du 1er juillet et du 1er août 1850, la relation de notre séjour à Persépolis.