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très pauvres. Les desservans, nommés derders, sont forcés pour vivre d’exercer une industrie ou un métier. Au-dessus des derders, libres de contracter mariage, se placent les vartabeds, prêtres d’un rang plus élevé, parmi lesquels on choisit les évêques, et qui vivent dans le célibat. La population arménienne de Djoulfah étant en grande partie schismatique, un seul prêtre dit les offices dans l’église fréquentée par les catholiques, et l’intolérance des dissidens l’expose à mille avanies. Les Arméniens schismatiques ont poussé plus d’une fois le fanatisme jusqu’à assiéger dans son couvent le prêtre catholique pour lui arracher sans respect pour son âge ni son caractère, l’enfant qu’il baptisait, ou le cadavre auquel il rendait les derniers devoirs.

Il fut un temps où de nombreux missionnaires, — carmélites, capucins, puis jésuites, — travaillaient, non sans succès, à ramener dans le giron de l’église romaine ce troupeau égaré qui a pris pour guide le patriarche d’Etchmiadzin ; aujourd’hui encore, de courageux prêtres, français pour la plupart, apparaissent de temps à autre au milieu des schismatiques de Djoulfah, et ils s’adressent non-seulement aux chrétiens, mais même aux musulmans, qu’ils cherchent à ramener dans les voies de la véritable église. Leurs efforts sont contrariés par la propagande des ministres réformés, qui tentent de détourner vers le protestantisme les ames déjà chrétiennes, et l’église romaine ne fait que de bien lents progrès parmi les Arméniens de la Perse.

Derrière Djoulfah, entre les murs de ce faubourg et le pic de Khou-Sopha, s’ouvre une vaste plaine, couverte de ruines qui prouvent qu’autrefois les habitations des Arméniens s’étendaient bien au-delà des limites actuelles. On remarque dans cette plaine les restes d’un grand palais fortifié qu’avait fait bâtir Châh-Hussein : de hautes murailles, découpées en arcades, sont encore debout, et dominent des amas d’informes débris qui servent de retraite aux chacals. Sur la crête du Khou-Sopha s’élève aussi un petit monument dont l’origine remonte probablement à l’époque où une colonie guèbre vint s’installer à Djoulfah : c’est une espèce d’autel, nommé Atech-Gah (autel du feu). Quelques tours fort grandes et très bien construites, qu’on prendrait à première vue pour les restes d’un vaste système de fortifications, apparaissent çà et là dans les alentours du Khou-Sopha : ce sont des colombiers, où les pigeons sauvages viennent nicher dans de petites cases pratiquées à cet effet. La fiente de ces oiseaux fournit un engrais très puissant aux jardiniers, qui s’en servent pour les primeurs, et c’est la source d’un revenu important pour les propriétaires de ces pigeonniers.

Aux environs de Djoulfah, on rencontre encore le cimetière arménien, dans lequel les places des Européens sont classées par nations. Les tombes ne présentent rien de remarquable : celles des riches sont