Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/590

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
584
REVUE DES DEUX MONDES.

du Lloyd autrichien et du service des vapeurs de l’Inde anglaise. Le sultan prétendait marquer encore sa suprématie en exigeant que le pacha demandât la permission d’ouvrir les travaux que l’Angleterre va diriger. Les intéressés anglais ont aussitôt sollicité l’intervention du gouvernement, et lord Palmerston s’est hâté de les rassurer. La permission a été en effet accordée par la Porte après qu’Abbas-Pacha s’est décidé à la réclamer ; mais la porte y met pour condition que le chemin ne sera point construit par des ingénieurs étrangers : la condition ne paraît pas très facile à remplir, et n’inquiète pas autrement la compagnie formée en Angleterre.

Lord Palmerston s’est attiré depuis quelque temps des réponses assez désagréables de la part des cours avec lesquelles il en usait trop librement. Lord Malmesbury finissait sa carrière diplomatique lorsque lord Palmerston et M. Canning commençaient la leur ; on lit dans les mémoires qu’il a laissés l’expression du chagrin avec lequel il voyait l’humeur frondeuse et les légèretés de ses deux jeunes successeurs. Lord Palmerston garde encore, après tout à l’heure un demi-siècle, cette vivacité de tempérament, et il va partout au-devant des querelles. Il a gâté les affaires de M. Gladstone par la brutalité de sa démarche envers la cour de Naples ; il s’est sans doute ainsi consolé du mauvais succès de ses communications trop officieuses à la diète germanique. Nous sommes assez curieux de savoir le parti qu’il tirera de la visite de M. Kossuth. Il a cru devoir prévenir l’ancien gouverneur de la Hongrie qu’il ne le recevrait point en sa qualité officielle : l’avis était en vérité nécessaire ! Cependant la tête ne doit plus tant tourner à M. Kossuth. Son triomphe s’use un peu en Angleterre, et l’affectation qu’il a d’être auprès des aldermen un bourgeois constitutionnel l’a tout-à-fait perdu dans l’esprit des démocrates français, que sa lettre avait ravis. Qu’est-ce qu’on fera de la souscription à un son prêchée par tous les journaux républicains pour offrir une médaille à l’ouvrier marseillais qui était allé à la nage serrer la main du citoyen Kossuth ? Il n’y a plus de ridicule en France.

Le jeune empereur d’Autriche vient de parcourir la partie polonaise de ses états. Il a été assez bien reçu en Gallicie par le peuple, un peu plus froidement peut-être par la noblesse. Cependant les seigneurs galliciens sont plus occupés de refaire leur situation matérielle, toujours très ébranlée depuis 1846, qu’ils ne songent à conspirer. Aussi ne s’explique-t-on pas qu’un personnage considérable sans doute par sa position, mais connu pour un conservateur sincère, le comte Adam Potocki, ait été tout d’un coup mis en prison sans motif public. On espère que cette affaire ne s’aggravera point. L’Autriche doit sentir le besoin de concilier et de réparer ; son intérêt est de ramener à elle la noblesse gallicienne, dont les griefs seraient trop commodément exploités par la Russie.

La mort de Mme la duchesse d’Angoulême a été très vivement sentie à la cour de Vienne. Elle a partout en France, au milieu même de nos préoccupations du moment, éveillé les sympathies les plus respectueuses. Toutes les dissidences des partis se taisent devant une si longue suite d’infortunes.

ALEXANDRE THOMAS.


V. de Mars.