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jusqu’à la familiarité la plus rebelle ! Nous avons cependant eu le regret de trouver dans un document officiel de date récente, non pas la même outrecuidance systématique, mais évidemment une tendance analogue à celle qui nous émeut dans ces manifestes éphémères du journalisme d’aventures. La proclamation du nouveau préfet de police avait cela de très particulier au milieu des circonstances où nous sommes, qu’elle semblait ne connaître qu’un pouvoir à la tête de la république, et ne donnait aux Parisiens d’autre garantie de sécurité que l’égide du chef de l’état. Nous voulons néanmoins espérer que le président aura cette sagesse qui, jusqu’ici, lui est toujours venue à point pour le retirer des extrémités où l’a mené quelquefois une idée trop excessive de sa propre influence. La foi qu’il n’a jamais cessé de garder en lui-même et dans son autorité personnelle est assez ardente et assez sincère pour se communiquer inévitablement à sa clientelle ou à ses subordonnés : nous voulons croire qu’il retiendra sans trop de difficulté les zélés que sa seule approche exalte, et qu’il empêchera ses amis d’être plus imprudens qu’il n’a pu l’être encore. Cependant, nous ne le dissimulerons pas, depuis les avances malencontreuses que le prince Louis Bonaparte a faites au suffrage universel, nous craignons qu’il soit moins à même de se défendre contre les funestes séductions du mirage auquel il s’est déjà trompé. Nous craignons que la dernière résolution à laquelle il s’est ou paraît s’être arrêté ne soit quelque chose de plus grave qu’une revanche prise quand même sur une majorité dont il n’était pas satisfait, quelque chose qui tire plus à conséquence qu’un froid et pur calcul de représailles politiques. Il se pourrait, en effet, si la métaphysique des songe-creux venait à l’emporter sur la simple raison dans un esprit trop tourmenté, il se pourrait qu’on mit sa gloire et sa fortune en chimères, et que l’on ne comptât plus avec la réalité. On ne se gardera jamais assez des nuages, des vaines figures qui hantent les imaginations par ce temps-ci : quelles figures fantastiques n’a-t-on pas construites sur ces deux noms du peuple et de Napoléon ! Dans combien d’épopées quasi-mystiques n’a-t-on pas célébré l’union de ces deux puissances du XIXe siècle, l’embrassement solennel et fécond de ces deux figures, qui n’ont jamais été du moins de la sorte des figures en chair et en os ? Qui ne se rappelle avoir entendu vanter les merveilles promises à la France par le mariage de l’idée napoléonienne avec l’idée démocratique ? Nous le disons du fond de l’ame, et nous protestons on le disant contre toute intention blessante, nous parlons avec le sérieux d’une tristesse qui n’est pas jouée : si c’est par hasard ce mariage-là que rêve le président, c’est qu’il n’habite qu’avec des fantômes.

Qu’est-ce donc pourtant que cette passion mal déguisée pour le principe absolu du suffrage universel ? Qu’est-ce que ce besoin de publier sur tous les tons que l’on est à la fois « conservateur et populaire, » que l’on donnera le progrès et que l’on fondera l’autorité ? Qu’est-ce que cette espèce de shibolet à double sens qui est l’ordonnance et comme la marotte du moment ? Il arrive ainsi qu’on ne rapporte plus assez la politique aux événemens ou aux principes : on la rapporte à soi-même. On ne songe en gouvernant qu’à se composer une physionomie dont les deux faces répondent au double rôle qu’ont annoncé trop complaisamment de certains horoscopes. On s’acharne à soutenir un rôle, parce qu’on s’est persuadé l’avoir lu dans la destinée ; n’y a-t-il pas