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de mes ouvriers, enfin par quelques larcins, je fus amené à reconnaître que le procédé le plus sûr pour exploiter les terrains aurifères consistait à laver de grandes quantités d’argile au moyen d’un manège et de cylindres, à faire couler l’eau boueuse sur une échelle à godets remplis de mercure et à finir le lavage des sables dans un cylindre à bras. On évitait ainsi les pertes et les larcins. Je fis donc immédiatement le plan de mes opérations. Je me proposai de laver vingt-cinq mètres cubes de terre par jour, et, dans tous les cas, au moins vingt mètres cubes, représentant vingt mille kilos environ ou deux mille bâtées de dix kilos. A raison de 37 centimes et demi, ces deux mille bâtées devaient me donner un produit de 750 fr. par jour. Le Ier février 1851, je communiquai mes plans à M. Dalla-Costa, à Angostura; mais j’avais compté sans l’épidémie qui venait de se déclarer à Tupuquen, et le 3 du même mois j’étais couché, avec dix-sept hommes de ma compagnie, dans mon hangar, transformé en hôpital.

Tupuquen a toujours joui d’une grande réputation de salubrité. Ce village est situé sur une petite éminence, à l’entrée d’une belle plaine bien découverte, à cinq cents mètres de l’Yuruari, dont le cours est d’une rapidité ordinaire et loin de tous dépôts d’eau stagnante. Je n’appris donc pas sans surprise, en arrivant à Tupuquen le 14 janvier, qu’un grand nombre d’ouvriers y étaient attaqués de fièvres intermittentes très violentes, qui, en quarante-huit heures, jetaient les malades dans un état de prostration complète. Parmi ses ouvriers, le docteur Bcauperthuis en avait cinq attaqués de fièvres qu’il avait coupées au moyen du sulfate de quinine; toutes ces fièvres étaient attribuées à des imprudences. Je pris donc toutes les précautions possibles pour préserver mes hommes, et j’atteignis sans accident le 1er février; mais, le soir de ce jour, j’eus deux hommes attaqués. Le lendemain, l’épidémie sévit sur cinq autres ouvriers, et le 3 février elle réduisait à l’inaction le reste de la troupe, moins trois hommes, qui servirent d’infirmiers à leurs camarades. Une invasion aussi subite me fit croire à un empoisonnement ou à une épidémie. Le docteur me rassura quant à l’empoisonnement, mais les suites de ces fièvres n’en restaient pas moins déplorables. Tous mes hommes, en huit jours, avaient été réduits à une faiblesse extrême; moi-même, j’avais perdu mes forces au point de ne pouvoir me tenir debout pendant une minute. Il n’y avait point à hésiter : plus nous prolongerions notre séjour à Tupuquen, plus notre position deviendrait critique. Il fallait revenir sur ses pas. Le docteur Beauperthuis se décida, comme moi, à quitter le pays infesté, et il fit partir ses hommes le 9 février. Quant à moi, abandonnant mes bagages, je fis monter mes malades sur les animaux de bât, et je me mis en route.

Nous n’arrivâmes à Upata qu’après quatre jours d’une marche des plus pénibles. Sur moi roulait toute la direction du voyage; la plupart des hommes voulaient à chaque instant s’arrêter. Comprenant combien il était important que pas un ne restât en route, j’étais obligé de me tenir à l’arrière-garde pour les forcer de marcher. Un seul parvint à se soustraire à ma surveillance : il s’écarta et se cacha dans un bois. Je l’envoyai chercher : on ne put le retrouver que deux jours après, et il expira pendant qu’on le portait dans un hamac. Deux autres, qui avaient déserté dès mon arrivée à Tupuquen, croyant avoir plus d’avantage à travailler pour leur propre compte, périrent faute d’avoir