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méridien Jusqu’à son embouchure dans l’Orénoque, sous le 8e degré 20 minutes de latitude nord.

Mon intention était, après avoir visité le bassin de l’Yuruari, improprement nommé Yuruan sur la carte de M. Codazzi, de remonter le Caroni jusqu’à la cordillère de Pacaraima; tous les renseignemens que j’avais m’indiquaient que le bassin de l’Yuruari n’était que le commencement des terrains aurifères, et que les parties les plus riches étaient sur les deux versans et dans toute la longueur de la cordillère de Pacaraima, qui sépare du Brésil les Guyanes française, anglaise, hollandaise et espagnole; je devais employer quatre mois à ce voyage, et j’avais fait mes préparatifs en conséquence. Je n’avais donc avec moi que juste ce qu’il me fallait pour ne pas embarrasser ma marche; on verra que je ne fus arrêté que par un ennemi contre lequel il n’y a pas de lutte possible; cependant je crois avoir recueilli suffisamment de renseignemens pour engager le gouvernement français à faire explorer le versant nord et nord-est de la cordillère Pacaraima, qui sépare la Guyane française du Brésil.

L’Yuruari prend sa source près du mont Guayo, sous le 6e degré 40 minutes latitude nord, coulant d’abord du sud au nord, ensuite de l’est à l’ouest, et, en faisant un retour du nord au sud, il verse ses eaux dans le Cuyuni; il passe à Santa-Clara-Pastora, à dix mille mètres de Guasipati, à Tupuquen et à Cura. L’Yuruan prend sa source dans les monts Binconote et coule d’abord du sud au nord; sous le 6e degré 40 minutes de latitude nord, il fait un angle droit, prend sa direction de l’ouest à l’est, et verse ses eaux dans le Cuyuni,

J’avais débarqué à Puerto de Tablas à trois heures du soir en même temps Qu’une compagnie anglaise qui arrivait de la Trinidad, et, comme nos dispositions étaient prises en raison de la connaissance que j’avais du pays, le lendemain, à quatre heures du matin, mes bêtes étaient chargées, et nous étions en route pour Upata, chef-lieu du canton du même nom. Le premier village où j’arrivais fut Saint-Félix, à trois heures de marche de Puerto de Tablas. J’étais entré dans le pays qu’on nommait autrefois et qu’on nomme encore aujourd’hui le Pays des Missions. Le gouvernement espagnol avait abandonné le soin de civiliser les nombreux Indiens du canton d’Upata aux pères capucins aragonais, leur laissant aussi pleine liberté quant au choix des moyens et une indépendance complète vis-à-vis du pouvoir séculier. Il n’avait excepté de cette tolérance qu’un seul point, la capitale, Upata. Les pères capucins, armés du pouvoir spirituel et de plus du pouvoir temporel, en usèrent dans l’intérêt de la civilisation. A force de persévérance, de caresses, de cadeaux et de punitions, ils parvinrent à réunir les Indiens dans vingt bourgs de belle apparence auxquels ils donnèrent le nom de Pays des Missions; le premier de ces villages que je rencontrai, Guasipati, était en parfait état de conservation. Je remarquai avec surprise l’étendue de ce bourg, la beauté et l’uniformité des maisons, la spacieuse enceinte du couvent, l’architecture mauresque de l’église. J’avais quelque peine à m’expliquer un tel luxe de constructions en songeant surtout que les villages des Missions étaient tous au moins aussi vastes que Guasipati et avaient été construits en même temps. Il avait fallu évidemment faire venir d’Europe tous les ouvriers charpentiers, forgerons, menuisiers, briquetiers, scieurs de long, maçons, etc.; les Indiens n’avaient pu être employés que comme gens de peine, et les ouvriers européens avaient reçu des salaires fort