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d’Angostura, de visiter tout l’intérieur du Brésil en naviguant sur l’Amazone et ses tributaires, et de revenir par nier des bouches de l’Amazone aux bouches de l’Orénoque. Par les rivières Apure, Arauca, Meta, Guaviare, Inirida, Quasiquiare et la Rivière Noire, le commerce d’une partie de la Nouvelle-Grenade et du Venezuela, c’est-à-dire de plus de quarante mille lieues carrées de superficie, doit donc tomber entre les mains des négocians d’Angostura; malheureusement tous ces pays manquent de population et ne sont habités que par des Indiens à demi sauvages. Il en résulte que la magnifique navigation de l’Orénoque, qui a beaucoup de ressemblance avec celle du Mississipi, ne présente presque pas d’avantages à la république de Venezuela.

Il en était bien à peu près de même, il y a quarante ans, de la navigation du Mississipi, dont les rives étaient désertes à partir du Bayou-Sarah; sous le rapport de la population, ce beau pays, qui se peuple si rapidement aujourd’hui, avait une position inférieure à celle des rives de l’Orénoque : l’application de la vapeur à la navigation et l’établissement de nombreux bateaux à vapeur sur le Mississipi, en facilitant les communications, ont attiré l’immigration dans les provinces de l’ouest des États-Unis et favorisé l’énorme développement de l’industrie et de l’agriculture qu’on y rencontre aujourd’hui. Le même moyen peut seul attirer la population sur les rives de l’Orénoque; seuls, les bateaux à vapeur peuvent donner la vie à ce beau pays et l’élever à la position que lui a marquée la nature.

Jusqu’ici, le gouvernement de la république avait négligé cette belle découverte des temps modernes, faute d’en comprendre les avantages; mais en 1849 il a commencé à entrer dans la voie des améliorations en concédant, sur l’Orénoque, le privilège de la navigation à vapeur à une compagnie qui est obligée d’entretenir les bateaux nécessaires à la navigation; de plus, j’ai signé, le 24 juin 1851, avec le gouvernement, un contrat pour le transport des dépêches depuis Maracaibo jusqu’à Angostura par le moyen de bateaux à vapeur, qui, tous les huit jours, partiront des deux extrémités, la ligne devant continuer jusqu’à Chagres. Au moyen de ces deux entreprises se trouveront établies les communications par bateaux à vapeur depuis le haut Apure et depuis la Rivière Noire, par le Quasiquiare et le haut Orinoco, jusqu’à l’île de la Trinidad, où se présentent les bateaux à vapeur de la compagnie royale d’Angleterre, et jusqu’à Chagres, où se rencontrent des lignes de bateaux à vapeur de tous les points des États-Unis de l’Amérique du Nord. On peut donc augurer que les rives de l’Orénoque vont voir leur population s’accroître avec la même rapidité que celle des rives du Mississipi.

Puerto de Tablas, où j’avais débarqué, est un petit village de cinquante maisons, situé à l’embouchure de la rivière Caroni. Différentes des eaux de l’Orénoque, qui, charriant une grande quantité de sables, sont presque toujours troubles, les eaux de la rivière Caroni sont limpides, mais elles ont une teinte jaunâtre. C’est à tort qu’on dit qu’elles sont noires; la teinte de ces eaux tire plutôt sur le bistre. Le Caroni est une belle rivière, d’une navigation difficile en raison des cataractes qui entravent son cours; elle prend sa source dans la cordillère de Pacaraima, sous le 4e degré de latitude nord; coulant d’abord de l’est à l’ouest jusqu’à ce qu’elle ait dépassé les montagnes Rinconote, branche de la cordillère de Pacaraima, elle coule ensuite du sud au nord sous le même