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nord, et entre le 63e et le 70e degré de longitude ouest du méridien de Paris. Arrivés sur les terrains aurifères, tous ces explorateurs retournaient sur leurs pas, ou, égarés par les fausses indications des Indiens, qui redoutaient ces dangereux hôtes, ils s’éloignaient à leur insu du trésor qu’ils pressaient sous leurs pieds ; presque toujours, la faim, la misère, les maladies, les flèches des Indiens, les frappaient et les détruisaient en route.

Sir Walter Raleigh paraît être le seul de ces aventureux voyageurs qui ait eu une connaissance certaine des terrains aurifères de l’Eldorado. Après s’être arrêté plusieurs mois à l’embouchure de la rivière Caroni, un des grands tributaires du fleuve Orénoque, il repartit pour l’Angleterre, où il perdit la vie sur un échafaud pour crime de haute trahison, après avoir vainement offert, pour se sauver, de faire connaître à la reine Elisabeth un pays plus riche en mines d’or qu’aucun de ceux qui eussent encore été découverts. On considéra ses offres comme mensongères ; sa grâce lui fut refusée, et Raleigh emporta le secret de sa découverte. Depuis cette époque, l’Eldorado ne fut plus envisagé que comme le pays des chimères, et M. de Humboldt partagea lui-même à cet égard le préjugé commun. Aujourd’hui cependant, le doute n’est plus possible : le pays des chimères, l’Eldorado, existe ; il existe tout aussi positivement que la Californie ; j’ai moi-même pu m’en assurer, et, quoiqu’il m’ait été impossible de pousser mes recherches jusqu’au sud et à l’ouest de la Guyane française, ainsi que c’était mon projet, la nature des roches et la formation de la chaîne des montagnes Pacaraima me font croire que les terrains de l’Eldorado s’étendent jusqu’au sud et au sud-ouest de la Guyane française.

Qu’on ne se hâte pourtant pas trop de s’enthousiasmer : il en est un peu de l’Eldorado comme de l’antique toison d’or. Quand on lit l’histoire des premiers aventuriers qui montèrent sur le navire Argo, on suit leur voyage avec intérêt, on prend part à toutes les jouissances qu’ils ont dû éprouver ; mais, si on réfléchissait aux travaux, aux fatigues et aux privations qu’ont eu à supporter pendant des années Jason et ses compagnons, on y regarderait à trois ou quatre fois avant de s’embarquer dans une pareille expédition. Tout fait croire que ce voyage de Jason n’est pas une fable, et qu’ayant découvert des mines d’or, les Argonautes eurent, pour les exploiter, à surmonter mille obstacles analogues à ceux que rencontrèrent les aventuriers du XVIe siècle en Amérique. Nos aventuriers du XIXe siècle sont un peu moins à plaindre, si l’on veut, que leurs devanciers ; il n’en est pas moins vrai que, dans la profession de chercheur d’or, la somme des peines égale bien, si elle ne dépasse pas, celle des jouissances.

À la fin de 1847, le bruit se répandit dans la république de Venezuela qu’on avait découvert l’Eldorado dans le canton d’Upata, province de la Guyane espagnole[1]. Un médecin français qui habite la ville d’Angostura, le docteur Plasard, se rendit sur les lieux, et reconnut que la plupart des torrens et des rivières du canton charriaient de l’or. Ce canton n’a pas moins de huit mille lieues carrées d’étendue, à raison de vingt lieues au degré équatorial. Un

  1. On peut trouver à Paris une très bonne carte du canton d’Upata, lithographiée en 1840, sous la direction de M. Codazzi, par MM. Thierry frères, cité Bergère, 1. Elle est supérieure à celle de M. Banza, imprimée par la Société royale de Londres en 1830.