Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/509

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

hauteur de son caractère. L’amour de son pays l’avait exalté jusqu’à l’extase. On peut voir dans un curieux travail, publié par M. Olivier, tout ce qu’il y avait d’étrange et de mystique chez le major Davel. Dans les premières années du XVIIIe siècle, tandis que la France était gouvernée par le régent et le cardinal Dubois, Davel avait des visions comme en plein moyen-âge. Imprévoyant, imprudent, maladroit dans sa conduite, il mourut avec la fermeté d’un héros, avec la résignation d’un saint, heureux de donner son sang pour la foi qu’il avait embrassée. Le tableau de M. Gleyre reproduit simplement ce que l’histoire nous apprend. Il règne dans toute la composition une gravité austère qui s’accorde très bien avec le sujet. Davel, placé entre deux ministres de la religion, envisage sans trembler le bourreau appuyé sur l’épée à deux mains qui va lui trancher la tête. Le peintre a parfaitement rendu le caractère mystique du personnage. Il y a dans les yeux du major Davel une sérénité qui n’appartient pas à la terre. Le héros attend du ciel la récompense de son abnégation. La crainte du supplice s’efface devant l’espérance de la rémunération. Le visage de Davel exprime très clairement la pensée que j’indique. Les ministres de la religion qui le consolent, le bourreau qui s’apprête à le décapiter, les soldats qui contiennent la foule frémissante, sont pénétrés d’étonnement et d’admiration. Lausanne, qui possède aujourd’hui ce tableau, l’a reçu avec joie et le garde avec orgueil; il serait difficile, en effet, de rendre plus simplement, plus sévèrement, les derniers momens d’un héros et d’un martyr. Davel, dont le nom est inconnu dans les trois quarts de l’Europe, est pour les paysans mêmes du canton de Vaud un personnage poétique. La légende n’a pas négligé d’embellir et d’agrandir les traits principaux de cette vie étrange, qui, dans sa réalité nue, est déjà digne de respect. Lausanne, en consacrant le souvenir de cette mort héroïque, a fait preuve de discernement; car le dévouement poussé jusqu’à l’abnégation n’est pas assez commun pour qu’on néglige de l’encourager, de le susciter. M. Gleyre s’est associé à la pensée de Lausanne avec une ardeur digne du sujet, et son tableau ne manquera jamais de réunir les suffrages de tous les hommes habitués à comparer l’œuvre qu’ils ont devant les yeux avec les conditions imposées à l’auteur. La Mort du major Davel sera toujours pour les juges éclairés une composition savante et vraie.

J’arrive aux Bacchantes, c’est-à-dire au dernier, au meilleur ouvrage que M. Gleyre ait offert au public. Le sujet choisi par l’auteur peut séduire à bon droit les amis sérieux de l’art, car il n’y a rien dans ce sujet qui se rattache aux idées purement littéraires. Si les bacchantes ont été dignement célébrées par Virgile, Théocrite et Euripide, la manière dont M. Gleyre a conçu son tableau n’a rien à démêler avec la poésie grecque ou latine. Ce tableau est empreint d’un caractère