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Maintenant la toile est perdue, et les érudits, forcés d’accepter la gravure d’Henriquel Dupont comme l’image fidèle du tableau de M. Hersent, s’il leur arrive de rencontrer l’analyse impartiale de l’œuvre primitive, auront grand’peine à ne pas accuser le bon sens d’injustice.

Placé chez un tel maître, M. Gleyre ne pouvait manquer de comprendre bientôt l’insuffisance de son enseignement. Cependant, avant d’y renoncer, avant d’entreprendre par lui-même une série d’études indépendantes, il voulut acquérir dans l’atelier de M. Hersent la connaissance complète des procédés matériels, qui sont comme la grammaire de l’art. Sans accepter le style de son professeur, il sentait pourtant qu’il pouvait apprendre de lui les lois générales d’une langue qu’il devait plus tard employer librement pour l’expression d’une pensée toute personnelle. J’imagine qu’il n’éprouvait pas une admiration bien vive pour le portrait connu sous le nom du Chapeau de paille, et que j’ai vu dans ma jeunesse applaudi comme le dernier mot de l’art. Il y a pourtant dans ce portrait, dont le modèle appartient à la famille Didot, une certaine adresse qui n’est pas indigne d’attention. Si la peinture de M. Hersent, dans le Chapeau de paille comme dans le Gustave Wasa, est un peu trop léchée, elle offre pourtant une étude qui n’est pas sans profit : elle révèle clairement ce que peuvent des facultés moyennes soutenues par une courageuse persévérance. Envisagées sous cet aspect, les œuvres de M. Hersent sont pleines d’enseignemens. Doué d’une imagination tiède, avec une notion très incomplète de la beauté, il a trouvé moyen d’obtenir et de garder pendant quelques années une renommée de science et de talent. C’est au travail seul, au travail persévérant, qu’il a dû ce bonheur passager, et, maintenant que son nom est entré dans l’oubli, il n’est point inutile de rappeler la cause de ses succès.

Un esprit fin et délicat ne pouvait manquer de comprendre bientôt tout ce qui manquait à M. Hersent. Aussi, des que M. Gleyre fut libre, il partit pour l’Italie, où il a passé les plus belles années de sa vie. Tous ceux qui ont pu feuilleter ses cartons rendent justice au caractère encyclopédique de ses études. Les dessins nombreux qu’il a rapportés se distinguent en effet par leur variété aussi bien que par leur précision. Giotto n’est pas copié avec moins de fidélité que Raphaël; les premiers bégaiemens de la peinture renaissante sont transcrits avec autant de soin que les accens d’un art consommé. Il est facile de démêler dans ces souvenirs de voyage un esprit de justice et d’impartialité qui ne se rencontre pas fréquemment chez les artistes de nos jours. Ce n’est pas que M. Gleyre attribue la même importance à toutes les époques, à tous les monumens de la peinture italienne. Il n’a jamais conçu, jamais proféré un tel blasphème, non sans doute, et je n’ai pas besoin de justifier l’ardeur qu’il a portée dans l’étude de toutes les écoles. Sans jamais confondre l’érudition avec la pratique de l’art, sans