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Darnley ses idées de fuite à l’étranger, le préparer ou le forcer plus commodément à un divorce en l’ayant sous la main à Edimbourg, et, dans l’intervalle, couvrir l’adultère de sa présence? Et pour l’amener là, toutes les perfidies du voyage à Glasgow sont nécessaires. Darnley est défiant, faible, fantasque; il a peur pour sa vie; il faut le rendre confiant, le gagner, le dominer. Ai-je besoin de dire que j’explique, que je n’excuse pas ? Je cherche un crime moindre; je ne cherche pas l’innocence.

Après le meurtre :

Pourquoi se montrer (je copie M. Mignet) si indifférente et si inactive? pourquoi combler coup sur coup de faveurs et de dignités le chef des meurtriers? Pourquoi l’accompagner de vives marques d’intérêt devant la justice, se laisser enlever par lui, et, quelques mois après le meurtre de son mari, épouser l’homme qui l’avait tué? Je voudrais que M. Mignet prît pour un moment ma thèse, pour qu’il ne manquât rien à la réponse. Sa pénétration, son expérience du cœur humain, tout ce qu’il a fait de découvertes ingénieuses et discerné de nuances délicates dans cette histoire dramatique ne nous laisseraient rien à trouver sur ce que peut une femme passionnée sous l’ascendant d’un homme aussi redouté qu’aimé. Tout ce qu’il explique par le meurtre, il l’expliquerait par la passion. Il expliquerait l’inaction de Marie après l’attentat par sa stupeur d’abord, par la crainte d’avoir à rechercher et à punir non un seul meurtrier, mais une conjuration des principaux nobles, — car que de gens qui avaient tué Darnley ou de complicité avec les assassins ou de vœux secrets! — enfin par le manque d’indignation, il faut bien le dire, contre un crime qui la délivrait d’un mari détesté. — Les honneurs dont elle comble Bothwell, quoique accusé publiquement du meurtre, il les expliquerait par sa conviction que les placards dénonciateurs le calomniaient, par l’effet le plus naturel de la passion, qui est d’augmenter avec le péril de l’homme aimé, de s’aveugler d’autant plus que la lumière qui se fait autour de lui devient plus vive, de s’opiniâtrer à l’idée de son innocence par tout ce qui se mêle de générosité à cette illusion, de le combler d’honneurs pour s’engager encore plus dans sa défense. — L’intérêt dont Marie accompagne Bothwell devant la justice, il l’expliquerait par les mêmes raisons, que rendait plus fortes le moment de l’épreuve, si assurée que pût être Marie d’un verdict d’acquittement. Il expliquerait encore l’enlèvement volontaire, et, en dernier lieu, le mariage, par la fin de toute passion de ce genre, qui est la possession à tout prix. Il n’y a plus que des convenances à immoler; le mariage ne pouvant se faire à une époque trop rapprochée du meurtre, Marie se fait enlever, afin que le scandale du mariage immédiat soit nécessaire pour réparer le scandale de l’enlèvement.

Voilà ce que M. Mignet eût fait admirablement voir, si sa conscience