à la matière, que la langue en soit exacte, on dira : C’est un bon livre; mais, s’il manque de plan, de proportion, s’il n’a pas cet intérêt dramatique nécessaire même à un ouvrage de raisonnement, s’il n’est pas soutenu, s’il manque de cette élégance qu’on demande même aux livres de mathématiques, ce ne sera pas un livre bien lait. L’Histoire de Marie Stuart réunit les deux genres de mérite, et le second, au temps où nous vivons, est de beaucoup plus digne de louanges que le premier; car, pour le premier, les bonnes qualités de ce temps peuvent y aider l’écrivain. On peut faire un bon livre en s’inspirant de ce qui surnage de sentimens honnêtes et de vues justes au-dessus de ce relâchement universel des âmes et de ce chaos d’opinions et de doutes contradictoires d’où nous voulons faire sortir un état stable; mais rien, dans ce temps-ci, ne peut aider à bien faire un livre : il faut en trouver tout le talent en soi, le public ne vous y est d’aucun service. Il n’y a, pour s’en convaincre, qu’à entendre non les premiers venus, mais des personnes qualifiées, louer certains écrits sans solidité, sans justesse, sans propriété, ni bons ni bien faits, et les estimer si bien écrits, qu’elles leur pardonnent presque d’être dangereux. C’est à prendre pitié de ceux qui se donnent tant de peine pour obtenir des vrais connaisseurs le même éloge! Cependant il faut le mériter; mais ce n’est pas assez d’un esprit bien doué, il le faut avoir bien trempé, indépendant, soutenu par le caractère et la dignité de la vie. À ce prix, on écrit de bons livres, qui sont en même temps des livres bien faits. Si je me trompe, ce n’est pas du moins en ce qui regarde M. Mignet; tant de témoins de la parfaite harmonie de sa vie avec ses écrits trouveront que la théorie est vraie de lui : je ne prétends pas plus.
M, Mignet a senti que le moment était venu d’écrire une histoire de Marie Stuart complète et impartiale. Les matériaux abondent; les partis religieux ne se disputent plus cette lamentable mémoire, et ne font plus de la reine d’Ecosse l’opprobre de son sexe ou un martyr sans tache. On peut être très bon presbytérien sans trouver que le fameux Knox ait usé de charité chrétienne envers Marie Stuart; de même on peut être très bon anglican, et ne pas approuver Elisabeth poussant sa triste prisonnière à conspirer, et la faisant mourir pour un complot que ses machinations favorisaient et que justifiait sa cruauté; enfin l’intérêt du catholicisme n’exige pas que Marie Stuart nait jamais failli. La dispute ne peut plus être désormais qu’entre historiens également jaloux d’établir la vérité historique, ou entre moralistes cherchant la vérité du cœur humain. C’est ainsi que d’habiles historiens, Hallam et Lingard, le premier contraire, le second favorable à Marie Stuart, et, tout récemment, le prince Labanoff et M. Mignet, aussi d’opinions opposées, ne sont que des champions de la