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remontait dans la direction du pays des Sbéahs. Cette vallée, ou, pour mieux dire, cette gorge étroite et boisée permettait d’avancer à l’abri de tous les regards. Le chemin était large pour un chemin d’Afrique, il avait quatre pieds. A trois lieues de là, cette route aboutissait à un vaste hémicycle de montagnes qui semblaient fermer le pays. Appuyant alors du côté du nord, la petite colonne gravit les pentes escarpées, faisant d’heure en heure une halte de dix minutes pour laisser à l’infanterie le temps de reprendre haleine. Les bois qui couvraient le flanc des montagnes cessaient brusquement au sommet, et tandis qu’à droite le regard plongeait dans cette gorge, que la nuit et la clarté de la lune faisaient paraître plus profonde encore, sur la gauche les terres dénudées se soulevaient en de vastes ondulations semblables à ces grandes vagues de l’Océan qui viennent de Terre-Neuve se briser sur la côte de Bretagne. On avançait toujours dans le plus profond silence, sans qu’une pipe ou un cigare fût allumé: le feu aperçu de loin aurait pu nous trahir. La fatigue commençait pourtant, l’engourdissement nous saisissait déjà, on sentait ce froid qui fait frissonner les plus vigoureux quand, après une nuit de marche, le point du jour approche, et, comme l’étoile du matin brillait de tout son éclat, nous fîmes halte à l’ombre d’un pli de terrain, attendant le retour des limiers que le commandant avait envoyés en reconnaissance. Au premier crépuscule, ils nous avaient rejoints.

— Nous sommes à dix minutes des douars, nous dit le commandant. Tous les chevaux des hôtes sont encore au piquet, on ne se doute pas de notre arrivée. Les chasseurs vont prendre la tête, et, dès que ces douars seront en vue, ils iront au galop couper la retraite.

Cette fois-là, quand on reprit la marche, vous eussiez vainement cherché une trace de fatigue. Toute lassitude avait disparu comme par enchantement. Chacun, l’œil au guet, se pressait pour arriver plus vite. Au détour d’un mouvement de terre, au moment où nous allions voir les Arabes, un soldat d’infanterie buta contre une pierre, tomba, et dans sa chute son fusil partit.

— Maudit animal! s’écria le commandant, il nous fait manquer le coup; l’éveil est donné. Partez, monsieur, me dit-il; nous vous suivrons au pas de course. Tâchez au moins de réparer la sottise de ce drôle.

En trois minutes, les chasseurs étaient sur le douar ; mais le coup de fusil nous avait dénoncés, et pour des Arabes habitués aux surprises, trois minutes en pareil cas, c’est la vie. Comme nous arrivions, déjà ils s’étaient précipités hors de leurs lentes, arrachaient les entraves, s’élançaient sur les chevaux, tentaient la fuite, échangeaient les coups de pistolet, déchargeaient leurs fusils. Dans ce premier moment de