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de la famille régnante au Maroc, ne cessaient de faire à l’Hadj-Abd-el-Kader. C’est à cette croyance encore que Ben-Marabet, leur chef respecté parmi les Beni-Ouragh, devait le repos dont nous le laissions jouir dans sa retraite, à quatre lieues du poste. Il ne la quittait jamais, et Mohamed-bel-Hadj se croyait obligé d’aller lui rendre ses devoirs, Mohamed-bel-Hadj, qui ne daignait point se déranger, même lorsqu’une zaza venait à éclater parmi les milliers de Kabyles qui couvraient le terrain du marché !

Zaza signifie en arabe le tumulte soulevé par les voleurs, quand ils veulent faire un bon coup et piller le Juif. Ce dernier est ordinairement le tondu en ces sortes d’affaires. Pour exécuter une zaza, les coupeurs de route simulent une rixe entre eux : on prend parti pour l’un, on prend parti pour l’autre ; la foule tourbillonne, une première tente est renversée, chaque Kabyle couvre de son corps ses poules ou ses moutons ; le Juif, battu, rossé, pousse des hurlemens, voit ses marchandises pillées, et les cavaliers du caïd du marché, qui presque toujours ont reçu de l’argent pour arriver trop tard, achèvent de mettre la confusion en distribuant des coups de bâton à tort et à travers. Quand leur bras est fatigué, ils viennent reprendre leur poste près du chef, qui n’a pas bougé. C’est au reste encore une singulière milice que ces cavaliers de l’autorité, du marghzen. Ils ressemblent assez aux chiens de berger, mais à des chiens qui mordent, emportent toujours le morceau, et font ainsi grande chère. Quant à Bel-Hadj, lorsque le bruit de ce tumulte, où souvent il y a mort d’homme, arrivait jusqu’à la petite maison construite pour tenir sa cour plénière, sous les murailles du fort, à huit cents pas du marché, parfois il se tournait vers un de ses chaous, disant négligemment : Ouachta hada (qu’est-ce que cela) ? question à laquelle le chaous, après s’être avancé jusqu’à la porte, répondait toujours par ces mots : Atta hadjà, Ioudi zegou (ce n’est rien, des cris de Juif). Que lui importait une cervelle de plus ou de moins ? La longue file de ceux qui se rendaient auprès de lui n’en serait pas moins nombreuse. Bel-Hadj exerçait l’autorité politique sous notre surveillance, de lui émanaient les décisions dans tous les rapports des Kabyles avec le gouvernement ; aussi, bien que la salle où le chef donnait des audiences ne ressemblât guère au cabinet d’un ministre d’état, il s’y tramait autant d’intrigues qu’autrefois chez le cardinal Mazarin, avec cette différence que le cardinal achetait les consciences, tandis que Bel-Hadj vendait un peu la sienne.

Un jour de marché, j’entrai avec Moore chez Mohamed. Il se faisait tard. Le vieillard avait passé la journée entière assis au fond de la pièce, les jambes croisées sur une natte, le dos appuyé à la muraille, égrenant son chapelet d’un mouvement machinal, tout en écoutant gravement les paroles que les gens accroupis près de lui murmuraient