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nous protéger contre toi, que nous t’avons donné notre foi, et que nous voulons y rester fidèles. »

Mohamed-bel-Hadj mentait avec l’impudence d’un Beni-Ouragh en parlant ainsi, car la mauvaise foi de cette tribu est aussi notoire dans la plaine que la mission du prophète. Malgré ses mensonges, je l’aimais. Son œil gris à demi voilé, son sourire de bonne humeur, plein de finesse, lui donnaient l’air de l’un de nos paysans normands. Cupide, souple, retors, courageux avec cela, hardi même au besoin, avare et parfois prodigue, enveloppant enfin tous ses vices d’un voile de bonhomie candide, — tel était ce vieux drôle, chargé de mauvaises actions et d’années. Il nous amusait, surtout quand il commençait ses lamentations et parlait de la douleur que lui causaient ses fils, car il lui en restait encore trois. — L’aîné ressemblait d’une façon singulière à l’émir. C’était le bras droit de Bel-Hadj, son repos, son espoir, la consolation de ses vieux jours; mais Djilali, qui faisait de l’opposition à son père, et Caddour, le plus jeune, ceux-là avaient été conçus dans un jour de malheur : ils étaient l’opprobre de sa famille, le fiel de sa vie, que sais-je encore? — Le fait est que Djilali faisait par son ordre le métier des princes héritiers en Europe; en cas de revirement de fortune, Bel-Hadj croyait prudent de rester en bons termes avec nos ennemis, et Djilali lui servait d’intermédiaire. Quant à Caddour, il le mettait parfois réellement en colère, bien qu’il le fit aussi souvent rire, parce que Caddour, mauvais sujet, toujours sans argent, venait sans cesse frapper à sa cassette, puis vendait les chevaux, les mules, et il fallait les remplacer. Le fils de Bel-Hadj, le Montmorency des Beni-Ouragh, ne pouvait marcher à pieds comme un mendiant. Un matin, je vis Caddour rôder autour de ma tente. — Bon! me dis-je, il vient chercher quelque chose, et j’attendis sans avoir l’air de m’apercevoir de son manège. Un instant après, Caddour était assis près de moi, et demandait du feu; je lui en fis donner. Il resta silencieux ; enfin :

— Ton père a-t-il de beaux chevaux dans ton pays?

— Oui.

— Plus beaux que ceux du mien?

— Ils sont d’une autre race.

— pourquoi ne t’en envoie-t-il pas un ?

— Il faudrait traverser la mer.

— C’est vrai.

Il y eut alors un nouveau silence. pour moi, dès les premières paroles, rien qu’à ses détours (car un Arabe se croirait perdu, on pourrait presque dire déshonoré, s’il allait droit au but), je vis que Caddour voulait vendre son cheval. Comme l’animal était excellent, je résolus de l’acheter. Quand le Kabyle eut aspiré une dizaine de