Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/452

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

petite tente, à côté de mes chevaux, j’oubliais les heures durant ces nuits admirables où le ciel d’un bleu sombre resplendit de la clarté de millions de pierres précieuses! La lumière transparente de la lune répandait le calme sur la vallée, sur la montagne, tandis que par momens ses mobiles clartés donnaient aux grandes arêtes de terre la mystérieuse apparence de fantômes. Tout alors, jusqu’au pas régulier de la sentinelle veillant enveloppée de son manteau blanc, portait à la rêverie. Il fallait, je vous l’assure, se faire violence pour regagner sa tente Le matin, en revanche, un rayon ardent du soleil perçant la toile se chargeait bien de nous jeter à bas du petit châssis sur lequel on prenait son repos. Avec le point du jour commençaient les devoirs du service, les mille soins nécessaires dont chacun comprend l’importance, car ils vous assurent une bonne troupe dans la circonstance critique. Là-bas, ces détails minutieux ne sont point pénibles comme en France; on s’y livre avec intérêt. Les officiers ressemblent aux chasseurs qui préparent soigneusement eux-mêmes l’arme à l’aide de laquelle ils abattront le gibier. Rien n’échappe à leur attention. Après le déjeuner, on allait faire la sieste dans un beau jardin, sous les figuiers, dans des hamacs suspendus aux branches; puis, le dîner fini, commençaient ces soirées si belles qui duraient l’été entier.

Telle était, pendant la paix, l’existence au poste du Khamis. Une semblable vie, s’écoulant ainsi dans un petit fort, situé comme au centre d’une coupe, d’où l’on n’aperçoit que les montagnes et le ciel, paraîtra sans doute monotone. Il n’y avait pas trace de luxe. Le drapeau planté sur la muraille dont la garde était confiée à notre honneur rappelait seul la France; mais l’isolement, la solitude même, cette terre d’Afrique enfin, semblent vous apporter des sentimens élevés, une vertu mystérieuse qui pénètre. L’ordre et la fermeté dont vous êtes entouré sont une source de contentement. Du partage du danger avec les hommes que l’on commande naissent une mutuelle estime, un attachement véritable. Bien souvent alors je me suis rappelé l’histoire de Samson racontée dans la Bible : elle me semblait la plus belle allégorie militaire. — Sans la tête qui les porte, les cheveux de Samson ne sont rien; sans les cheveux qui couvrent sa tête, Samson est privé de force : — ainsi du chef et du soldat.

Notre bivouac faisait d’ailleurs plaisir à voir : deux cordes, à chacune desquelles s’attachaient les entraves de douze chevaux, étaient tendues parallèlement au fossé du fort; derrière les rangs, chaque cavalier avait sa chambre, c’est-à-dire les six pieds de long et les deux pieds de large nécessaires à l’homme pour dormir sur la terre nue. Les chasseurs étaient partagés en réunions ou tribus de quatre hommes vivant ensemble sous des tentes de toile hautes de trois pieds. Ces tentes se divisaient en quatre morceaux, afin de rendre dans les marches la